Takano Kai ~ Here I am • |

Un vieux pantalon. Un tee-shirt Naruto et des baskets un peu démodés. De grosses lunettes devant les yeux. Une manette de jeux vidéo entre les mains. Voilà en partie un extrait de la personne que j’étais autrefois. Il y a de cela quelques années à présent. Même si on vivait dans une petite ville peu réputée par rapport aux autres, j’avais cette manie de m’enfermer dans mon monde. Si ce n’était pas devant un livre de manga, c’était devant la télévision avant qu’on ne m’achète ma première console vidéo. Je n’étais pourtant pas particulièrement une personne renfermée, j’avais juste une vision des choses différentes de celles des autres. J’aimais les jeux auxquels je passais des heures rien que pour affronter les plus grands bosses de la partie. J’admirais les héros de manga dans lesquels je lisais et il m’arrivait parfois de rêver d’être l’un d’eux. Tout ce que je faisais, ce que je disais, je les ramenais souvent à tous ces personnages virtuels qui n’était pas particulièrement aux yeux de tous. Mais moi je les connaissais, ils étaient mes héros, mes modèles et je crois qu’au fil des jours qui s’écoulaient, mes parents désespéraient. J’étais loin d’être le fils dont ils avaient rêvé d’avoir. Ils espéraient quelqu’un d’intelligent, de fort, sociable mais surtout d’un fils qui prenne soin de lui et soit... Beau. Autant dire que j’étais tout le contraire. Le mot approprié serait celui que beaucoup de monde connaisse et par lequel, on s’est bien souvent moqué de moi : Geek. Ou otaku. Cela dépendait des points de vue. Néanmoins oui, c’était exactement ce que j’étais. Qu’est-ce qui m’avait conduit là-dedans ? Je l’ignorais. Déjà petit, je n’étais pas un enfant très beau, mon physique n’avait rien d’avantageux. Et on se moquait de moi parce que j’étais incapable de pratiquer un sport sans tomber ou faire n’importe quoi. Ce n’était pas mon domaine et à ce moment là déjà, j’étais attiré par les choses qui demandaient moins d’effort. J’ai connu Naruto qui devint à la fois mon manga et mon personnage favori. Puis, j’en ai découvert d’autres, discutant avec certains garçons de ma dernière classe de primaire. J’ignorais les moqueries, me réfugiant peu à peu dans mon monde avant que sans que je ne m’en aperçoive, j’étais plus enfermé chez moi avec mes bouquins, mes jeux vidéos plutôt qu’à l’extérieur à jouer au baseball avec les autres.

Ma vie bouscula un peu plus à l’âge de mes seize ans. Déjà qu’on me considérait comme étrange avec mes jeux vidéos, à être si enthousiaste lorsque je parlais de mes personnages, cela ne s’arrangea pas avec le développement de Nishinaka. Pour ma part, je ne pouvais qu’être heureux en songeant à tous ces nouveaux gadgets que la nouvelle technologie allait m’apporter et autant dire, que je passais plus mon temps dans les arcades de jeux, dans les endroits High-tech ou les mangas café, plutôt qu’à l’école. Je voyais bien le désespoir de ma famille qui me menaçait de me priver de tout si je ne faisais aucun effort cependant je n’y croyais pas jusqu’à ce que ma mère décide de me retirer en premier lieu ma dernière playstation. J’avais compris que si je n’agissais pas, ils seraient encore plus en colère et je n’aurais plus le droit à rien. J’avais essayé de me concentrer sur mes études bien que je n’étais pas très intelligent. Ou plutôt, je n’avais pas vraiment envie de chercher à l’être. Mais, je suis tombé amoureux. Oui, cela arrive même au gars comme moi. Elle était belle, douce, peut-être un peu trop populaire cependant elle était gentille. C’était la seule à avoir osé m’approcher sans se moquer de moi. J’avais été surpris en me rendant compte de ça et quand mes yeux avaient croisé les siens, je suis aussitôt tombé sous le charme. Bien que je ne comprenais pas pourquoi une fille comme elle s’intéressait à moi. On s’est étrangement bien entendu et elle avait un attrait particulier pour les mangas. On avait commencé à traîner ensemble, faisant le trajet du retour du lycée à deux tout en se chamaillant. Plus je la voyais, plus je succombais. Je n’avais rien du mec parfait, j’étais même totalement l’opposé à ce dernier. Je ne faisais pas attention à moi. Pas du tout. Mais elle m’aimait. C’était ce qu’elle m’avait avoué avant d’échanger un tendre et merveilleux baisers. Mon premier. Mon premier amour aussi. Certes, c’était un amour d’ados et n’y connaissant rien, je m’étais probablement trop emballé. J’étais sûrement naïf. Idiot également. J’aurais du m’attendre à ce que la situation tourne à ma défaveur, qu’on avait simplement joué de moi afin de se moquer un peu plus. Les gens sont pour la plupart cruel et ils aiment pouvoir ridiculiser les autres, peu importait la manière. Kana ne dérogeait vraisemblablement pas la règle. Elle était comme eux. Au fond, elle n’était pas douce et gentille. Elle était juste manipulatrice et espiègle. « Qui voudrait de toi ? » Avait-elle lancé en riant, « C’est juste tellement mignon de voir à quel point tu y as cru ». Ses paroles resteraient de travers dans mon esprit et je ne les avais jamais oublié. « Tu es moche », « Tu n’as rien d’intéressant », « Tu fais pitié ». Toute cette période de ma vie, même si je gardais le sourire et paraissait indifférent, évidemment que ça m’avait touché. Je n’étais pas revenu immédiatement au lycée après cela, triste et affligé.

A mon retour, j’avais tenté de passer outre les brimades des élèves et tentais de vivre ma vie comme je le pouvais. Seulement, n’en pouvant plus de tout ça, mes parents m’avaient tout confisqué, me criant des tas injures avant de me reprocher de gâcher leur existence, de leur faire honte et de ne pas être un fils digne de leur nom. Blessé, j’avais pris le peu d’argent que j’avais, fait mes bagages et j’avais quitté la maison, sans jamais chercher à les joindre ensuite.
Dans un miroir de ma petite chambre d’hôtel, je contemplais mon reflet et soufflais en voyant à quel point, oui, je devais être un garçon pitoyable. Je me remémorais toutes ses réflexions qui m’avaient profondément affecté, toutes ces reproches que j’avais subi depuis ma tendre enfance et j’avais honte de moi. Mes personnages étaient probablement ceux qui jusque là m’avaient permis de croire en un idéal, en un monde plus merveilleux que la réalité néanmoins, justement, il avait fallu que je retombe dans cette réalité, que je me rende compte que la vie n’était pas un manga. Elle était plus compliquée, plus douloureuse aussi. Et plus je contemplais ce visage en face de moi, plus j’avais envie de le frapper à tel point il était horrible et moche. C’est à partir de là que j’ai voulu changer, me reprendre en main. Tant pis pour le lycée. Je n’avais plus rien et pas les moyens de le gérer seul. Alors j’enchaînais les petits boulots par-ci par là, aussi désagréable soit-il. Il fallait bien que je puisse gagner ma vie et me prendre un appartement. Ayant beaucoup de regret, ma mère m’avait appelé, me suppliant de revenir à la maison, chose que je n’avais jamais fait. J’avais toujours le coeur serré lorsque j’étais là-bas. Mes premiers jobs furent serveur dans un bar le jour et host la nuit. J’étais fatigué, épuisé, cependant je voulais devenir quelqu’un de beau, qu’on admire et qu’on aimerait. Pour cela, j’avais besoin d’argent. Petit à petit, le Kai du passé disparaissait faisant place à un tout autre jeune homme, plus élégant, plus charmant. Adieu les vieilles baskets, les grosses lunettes et les tee-shirts trop larges. Je voulais prouver à ces fantômes du passé que moi aussi, si on m’en avait laissé l’opportunité, je pouvais être quelqu’un de beau. A présent, j’accorde une importance immense à mon apparence. Peut-être même un peu trop. Je ne supporte pas d’avoir le moindre défaut et je suis obsédé par mon physique. Je veux être parfait sur tous les angles et surtout me plaire à moi-même. Parce que non, je n’aimais pas celui du passé.

Hors, avoir une telle obsession n’est pas spécialement un avantage pour une personne comme moi, sachant que je n’ai pas énormément d’argent. J’ai toujours dépensé sans compter afin de prendre soin de moi, d’avoir un style vestimentaire irréprochable et d’être beau. Oui, beau. Je me retrouvai rapidement endetté, mes jobs ne me suffisant plus, je ne savais plus quoi faire. Et j’avais besoin d’argent. J’étais devenu dépendant de l’argent ou plutôt de mon propre physique que je refusais d’entacher à nouveau. Depuis mon premier amour, je n’avais pas eu de véritable relation et j’avais préféré opter pour les relations d’une nuit. Ce n’était pas plus mal et puis, ce n’était pas désagréable. Bien sûr, je souhaitais m’enticher de quelqu’un de plus bel cependant je n’avais pas vraiment le temps de penser à ça. J’aimais bien ma vie comme elle était jusqu’à ce que je sois alors menacer de tout perdre parce que j’avais des tas de dettes sur le dos.  

Kaori est celle qui m’a plus ou moins sauvé la mise. Une de mes relations d’un soir à qui j’avais confié mes problèmes. J’ignorais comment tout ceci était arrivé mais je m’étais retrouvé dans un studio avant de réaliser dans quoi cette femme m’avait entraîné. Je me souviens avoir voulu faire demi-tour, m’enfuir loin de là cependant elle avait eu les arguments juste. L’argent. Le salaire. Il n’y avait rien de plus important que cela à mes yeux parce que si je n’avais pas les sous, je ne pourrais certainement plus être beau. C’était ce que je me répétais sans arrêt alors j’avais accepté un essai. Puis deux. Puis trois. Avant de signer un contrat. Je ne savais pas dans quoi je me lançais, pourtant, je me disais que de toute façon, je n’avais pas réellement le choix.

A présent, quatre années se sont écoulées, et je n’ai pas changé. Peut-être que mon obsession a encore évolué. J’ai décidé de reprendre contact avec mes parents même s’ils ne sont pas tout à fait au courant de ce que je fais, je pense d’ailleurs qu’il est préférable qu’il ne le sache pas. Bien que finalement, j’aime plutôt mon métier. Certains diraient que je suis acteur néanmoins ce n’était pas tout à fait ça. Oui, je tournais des films mais pas n’importe pas lesquels, ceux pour les adultes qu’on qualifierait de film X. Je suppose que cela en choquerait plus d’un cependant à mes yeux, il s’agit d’un métier comme un autre et avec l’expérience, cela ne me déplait plus tellement. Bien sûr, si je le pouvais, je travaillerais uniquement dans le petit konbini en bas de chez moi mais ce boulot à lui seul ne me rapporterait pas assez d’argent. Alors que les films, c’est tout autre chose. En plus de m’apporter un bon salaire, il m’apporte une satisfaction. Je peux me considérer comme quelqu’un de beau à part entière. Et ça, ça vaut tout le reste.