Parfois, il suffit juste d'un ami • |

Chantonnant, le jeune homme préparait des apéritifs dans différentes assiettes avant de vérifier l’heure à cause des pizzas qui risquait d’arriver d’une minute à l’autre. Soirée pyjama, voilà ce que son ami et lui avaient prévu de faire ce soir. Comme au bon vieux temps... Sauf qu’ils n’étaient plus des enfants, qu’ils avaient grandi et qu’à leur âge, ce genre de choses ne devrait plus se faire. A croire que Ren et Kyohei n’aimait pas faire comme tout le monde. Ils se fichaient bien des clichés et avaient bien l’intention cette soirée. Ils ne s’étaient pas vu depuis quelques temps à cause de leur travail respectif donc c’était l’occasion de discuter mais pas seulement, de s’amuser aussi. Avec lui, le magicien ne se gênait plus. Ils se connaissaient depuis des années à présent, ils ne s’étaient jamais disputés... Du moins pas à ce qu’il s’en souvienne et, il avait toujours pu compter sur ce dernier. S’il était d’un naturel calme, le jeune homme se laissait plus aisément aller avec ses proches. Autant dire que Ren faisait partie de son cercle d’amis qui était assez fermé et il était content de le voir ce soir. Parce qu’il lui manquait. Réellement. Avant, ils étaient toujours fourrés chez l’un ou chez l’autre cependant désormais qu’ils étaient des adultes, ils avaient forcément moins le temps pour se voir. Ca le rendait triste de grandir quand il y pensait... S’il le pouvait, il ne serait pas contre de faire un petit retour en arrière, juste pour revivre quelques évènements vécus au lycée. Plus que tout, Kyohei était heureux d’avoir garder contact, de l’avoir encore auprès de lui aujourd’hui et il espérait pouvoir lui rendre la pareille un jour de tout ce que son camarade avait pu faire pour lui à l’époque.

Au bout du compte, après avoir tout placé sur sa table de salon, le garçon choisit d’arrêter de chanter pour se mettre à siffloter. Ca lui donnait envie de jouer de la guitare d’un coup. Il ne fallait pas chercher à comprendre la logique dans ses réflexions. Lui-même ne la trouvait pas. Haussant les épaules comme pour répondre à ses propres pensées, il leva ses yeux vers la porte à l’entente de la sonnette. C’étaient les pizzas. Pour une fois qu’elles étaient en avance celles-là. Non pas que le magicien en commandait souvent, il préférait manger japonais en règle général, toutefois pour le peu qu’il en avait pris lorsqu’il faisait des soirées, il y avait toujours du retard. Ca n’avait pas d’importance parce qu’il les avait eu à temps, qu’il était de bonne humeur et qu’il ne manquait plus que son invité pour débuter la soirée.

Hors, jamais Kyohei n’avait prévu que sa joie s’éteigne aussitôt qu’elle était arrivée. Il avait vraiment fait un effort pour qu’ils se détendent et passent un bon moment néanmoins dés qu’il avait ouvert la porte pour accueillir son ami, l’esquisse sur ses lèvres s’était effacé. Parce que son camarade n’avait pas besoin de parler, il n’y avait qu’à regarder la lueur dans ses yeux pour s’apercevoir que quelque chose n’allait pas. Lui souriant plus faiblement mais sincèrement, il l’invita à entrer avant de désigner le canapé et lui indiquer de s’assoir. Ce n’était que quelques minutes plus tard que l’hôte revint avec de quoi boire et deux verres.

- Bon alors qu’est-ce qu’il t’arrive ? Demanda-t-il de but en blanc avant de s’installer à ses côtés.

S’il y avait bien une chose que le jeune homme détestait était de tourner autour du pot alors qu’il avait compris que son camarade n’était pas au meilleure de sa forme. Ce qui était rare... Du coup, ça l’inquiétait obligatoirement. Il espérait que cela ne soit pas quelque chose de grave.

- Et ne me dis pas rien ! Je te connais assez pour voir qu’il y a un truc de différent de d’habitude. Alors avant de commencer quoi que ce soit, faire les fous ou ce que tu veux. Je t’écoute.

Sur ses mots, il lui tendit gentiment un verre et le regarda fixement, attendant une réponse de son vis-à-vis. Et dire que juste avant Kyohei pensait qu’il aimerait rendre la pareille à son camarade, voilà que ce dernier était tourmenté par quelque chose dont il ignorait encore l’identité pour l’instant. Mais Ren savait à quel point la personne face à lui était un jeune homme particulièrement têtu et qui n’abandonnerait pas l’affaire si facilement. Il avait envie de l’aider et ferait tout pour ça.

Ren avait au envie d'annuler. Et depuis que l'idée avait germé dans sa tête, elle n'en sortait plus. Sauf que l'heure d'y aller était bientôt là et il ne se voyait pas annuler à la dernière minute. Il pouvait toujours feinter un rhume soudain, ou une panne de courant, donc il n'avait pas entendu son réveil et avait dormi toute la journée.. Ou bien, sa patronne avait besoin de lui, zut, il ne pouvait pas venir.
Mais il ne se voyait pas faire ça. Vraiment pas. Surtout pas à Kyohei. Et puis, ce n'était pas son style. En annulant ainsi, son ami aurait tout de suite remarqué quelque chose n'allait pas.
Il avait alors tenter de le cacher. De cacher ses petites cernes, mais surtout, d'enlever cette mine mi-énervée, mi triste qu'il avait collé au visage depuis quelques jours. Depuis qu'il avait appris pour Harumi, et depuis qu'il savait que quelqu'un l'a faisait chanter. C'était peut-être idiot pour certains, mais lui, ça le touchait énormément. Tellement qu'il avait du mal à dormir la nuit. Ca le stressait de savoir que son amie était dans une situation aussi délicate. De savoir qu'elle dormait mal, voir peu, à cause de cette histoire. Et il voudrait tellement faire quelque chose pour elle...

Arrivant alors devant l'immeuble de Kyohei, il leva son regard vers la bâtisse. Il pouvait encore faire demi-tour. Ce serait pas gentil et totalement idiot, mais il pouvait encore... Il soupira faiblement et pénétra dans le bâtiment. En y réfléchissant, ça ne pouvait peut-être pas lui faire du mal de revoir Kyohei. Lui aussi ça faisait longtemps qu'il ne l'avait plus vu...  Et puis, une soirée pyjama... c'était toujours drôle, non ?

Arrivé devant la porte, Ren devait se rendre à l'évidence : il n'était pas d'humeur pour faire la fête, s'amuser et raconter n'importe quoi. Il avait juste envie de se poser et attendre que le temps passe.
Il toqua néanmoins, et n'eut même pas le dire « abracadabra » que son ami avait déjà ouvert la porte. Et là, à nouveau, il eut la terrible envie de faire demi-tour. Il avait vu le sourire de Kyohei disparaître petit à petit. Il se sentait tellement mal et désolé... Il pouvait toujours faire demi-tour là, non ?
Ce fut en silence et après s'être déchaussé qu'il se dirigea vers le canapé. Et ce fut toujours en silence qu'il s'installa. Il devait trouver un truc, se mettre en mode « fiesta youhou ! » mais il n'y arrivait pas. Et quand Kyohei revint avec des boissons tout en lui demandant ce qu'il se passait, Ren ne put s'empêcher de grimacer. Non mais vraiment, il allait bien, tout allait bien, le monde était beau et les oiseaux ch... ne chantaient plus vu l'heure qu'il était mais ils allaient le faire au petit matin !

Il ouvrit alors la bouche, voulant simplement lui dire que ce n'était rien, mais il fut pris de court par les paroles de Kyohei.  Acceptant le verre que ce dernier lui tendait, il le remercia d'un bref signe de tête avant d'en boire une petite gorgée. Il fallait qu'il trouve quelque chose à dire, et vite, ça devenait urgent !

« T'en fais pas, c'est pas grand chose », expliqua-t-il doucement. Haha, il n'avait pas dit « rien » !, « Ca passera »

Mais qu'est-ce qui passera, exactement ? Il aurait dû dire ça autrement... Là, il laissait sous-entendre qu'il y avait quelque chose...

« Enfin, non, y a vraiment pas grand chose. La fatigue, le stress du boulot, tout ça... »

Parce que oui, son travail était le plus stressant du monde... Il avait son lot d'énervement en vendant des habits, bien sûr, mais pas autant qu'un pompier ou quelque chose comme ça.
Du coin de l’œil, il observa alors son ami, se mordant délicatement la lèvre inférieure. Il le connaissait, il était tout aussi têtu que lui. S'il avait décidé de savoir ce qui n'allait pas, il allait tout faire pour le savoir. Un peu comme lui.
Sauf que lui aussi pouvait se montrer aussi coopératif qu'un manche à balai... Il pouvait tout raconter, ou au contraire, parler d'autre chose. Ouais, c'était pas mal ça...

« T'as changé de canapé ? »

Bon, il aurait pu trouver mieux que le canapé...  Il porta à nouveau le verre à ses lèvres, alors qu'il regardait le reste de la pièce. Pour le moment, il faisait tout pour ne pas croiser le regard de Kyohei.
Il déposa sa boisson sur la table basse et s'adossa ensuite sur le canapé, laissant ses mains se poser sur ses cuisses.
Oh que oui, il le sentait ce regard posé sur lui. Il n'avait pas l'habitude d'avoir autant d'attention.. il n'aimait pas trop ça d'ailleurs. Ca le mettait assez mal à l'aise.

« Arrête de me regarder comme ça, ça me perturbe... », murmura-t-il lentement, « Puis t'as pas besoin de t'inquiéter, je peux gérer. Ca va »

Même lui ne croyait pas ce qu'il disait... Bonjour la crédibilité !

Est-ce que frapper ses amis, c’était mauvais ? Est-ce qu’on le gronderait ou lui en voudrait s’il tapait Ren en cet instant précis ? Non parce que ce dernier méritait réellement d’avoir une bonne claque derrière la tête. Il était en train de, littéralement, se moquer de lui. Quand Kyohei déclarait de ne pas lui répondre par un « rien », cela valait également pour les « ça passera » ou toute autre rétorque du genre. Il n’avait pas envie de savoir si ça irait, il souhaitait connaître ce qui arrivait à son ami pour que celui-ci lui semble si tourmenté et différent de d’habitude. Ren lui avait toujours paru fort, le type de personnes que, quand on regarde, on n’a l’impression que rien puisse venir envenimer sa vie. Il l’avait toujours vu souriant, toujours présent à ses côtés et à l’écoute. Bien sûr, il l’avait déjà vu triste ou inquiet néanmoins, ça restait rare. Et ça faisait longtemps qu’il n’avait pas vu cette expression sur son visage... Il y avait quelque chose. Que le garçon ne réponde pas le contraire, le magicien n’était pas idiot et il le connaissait assez pour voir qu’il tentait de ne pas l’inquiéter. Malheureusement, ils étaient bornés autant l’un que l’autre donc ça serait difficile de lui sortir les mots de la bouche. Si son camarade était tenace, lui l’était tout autant et il ne lâcherait pas l’affaire tant qu’il ne serait pas le fin mot de l’histoire. Peut-être même qu’il pouvait l’aider cependant pour cela, il fallait que Ren accepte de se confier, et de compter plus sur lui de temps à autre.

Un soupir s’était échappé de ses lèvres à chacune de ses réactions, dressant ses yeux vers le ciel parfois alors qu’il se retenait sérieusement de le cogner gentiment. Bien sûr que non il n’avait pas changé de canapé et que son invité ne tente même pas de le baratiner avec son stresse ainsi que sa fatigue. Parmi eux deux, le plus stressé devrait être lui et pourtant, il était en meilleure forme. Probablement parce qu’il s’était habitué à cette bonne vieille routine et qu’il appréciait ce qu’il faisait. Si on omettait le travail au marché, le reste était plutôt pas mal. La NSA occupait une grande majorité de son temps et il y a encore quelques années, il ignorait pouvoir porter un tel intérêt pour un tel métier. L’espionnage, la filature, il aimait ça... A se prendre, presque, pour un détective privé parfois. Il admettait que ce n’était pas toujours juste et qu’il souhaiterait en envoyer d’autres en prisons, certains qui lui tapaient durement sur le système mais c’était son boulot. Il faisait avec. On ne pouvait pas être satisfait surtout. Lui s’en fichait, du moment qu’on le payait à la fin du mois. Tout ça pour dire que Ren lui, était en train de se payer sa tête d’où le fait que Kyohei ne le quittait pas du regard.

- Je te regarderais jusqu’à ce que tu te décides à arrêter de te foutre de moi et de m’expliquer ce qu’il t’arrive, Répliqua le garçon avant d’élancer, finalement, la paume de sa main derrière le crâne de son camarade.

Il ne l’aurait pas tapé s’il avait été franc dés le début.

- Je vois bien que non, ça ne va pas. Qui essaies-tu de convaincre en disant que tu peux gérer hein ? Toi ou moi ? Ren, sérieusement, tu sais que tu peux compter sur moi. On se connaît depuis longtemps non ? S’il y a quelque chose, je veux pouvoir être là pour toi. Même si c’est juste t’écouter, ça sera ça de gagner non ? Alors... Qu’est-ce qu’il se passe ?

Vraiment, il espérait que son ami s’explique car il ignorait comment insister autrement afin de le faire parler. Et il ne pouvait pas le forcer éternellement cependant il était un peu comme son frère qu’il n’avait jamais eu. Il avait envie d’être là dans les moments forts mais aussi dans les moments bas, comme ce soir. Être ami ne signifiait pas uniquement s’amuser et rigoler, c’était également se soutenir et être présent lorsque l’autre en avait besoin.

Plissant les yeux tout en observant son ami, il se demandait s'il était vraiment sûr d'avoir senti cette main contre sa tête. Non parce que, frapper ses amis, c'était pas bien. Peut-être même punissable par la loi. Alors il allait arrêter avec sa main le petit monsieur, sinon Ren allait lui montrer la sienne. Gentiment. Il n'aimait pas frapper. Mais c'était pour le principe !
Et puis d'abord, il se moquait de personne. Et s'il se moquait de quelqu'un, c'était sans doute plus de lui-même que de Kyohei.

Se décalant sur le canapé, il instaura sur une certaine distance entre lui et son ami. Ce n'était pas qu'il en avait peur, mais il était pas non plus venu lui rendre visite pour se faire taper dessus. Il y avait des limites à toute amitié, eh bien pour Ren, elle était là : on ne le frappait pas. C'était un être fragile, non mais.
Alors que Kyohei parlait, Ren faisait lentement pianoter ses doigts sur sa cuisse. Bien sûr qu'il savait qu'il pouvait lui faire confiance. Il savait qu'il pouvait tout lui dire, même ses pires secrets. Mais il n'aimait pas parler de ce qui n'allait pas. C'était toujours plus compliqué pour lui à expliquer. Autant, quand tout allait bien, les choses étaient beaucoup plus faciles. Il répondait que tout roulait un ou deux sourires et l'affaire était classée. Quand rien n'allait, il devait expliquer ce qui n'allait pas, pourquoi, comment, quand, où, quoi. Et ça, ça le mettait presque mal à l'aise. Et puis, lorsqu'il en parlait, il avait l'impression d'être encore plus confronté à la réalité. Tandis que quand il gardait tout ça pour lui, tout restait dans son esprit, et la réalité semblait loin.

Quittant le canapé tout en soupirant, il se dirigea vers la fenêtre. Même s'il faisait nuit, il tenta de capter quelque chose, un mouvement, une lumière, un n'importe quoi, juste pour avoir quelque chose d'autre sur quoi se concentrer.
Ses épaules se baissèrent d'un coup alors qu'il soupirait une nouvelle fois. Il aurait vraiment mieux fait de rester chez lui ce soir, et d'annuler. Même si ça ne se faisait pas. Au moins il aurait embêté personne, à part son lit. Parce que oui, Ren avec des problèmes avait toujours le sentiment d'embêter le monde. Et au contraire, Ren sans problèmes ne dérangeait presque jamais personne.
Il tourna la tête, et grimaça quand il remarqua que Kyohei le fixait encore. Il replongea son regard sur l'extérieur, et soupira, encore. C'était terrible de soupirer autant en une seule soirée.

« C'est... », lâcha-t-il doucement avant de s'arrêter.

Il pouvait toujours trouver un autre truc. Genre, son lit venait de se casser. C'était un truc à miner un Ren pendant des jours, vu l'amour qu'il avait pour son lit. Ou alors, pire encore, son frigo venait de lâcher ! Son frigo, son presque meilleur ami de toujours, celui qui l'avait presque vu grandir, celui qui l'accompagnait tous les jours, qui le saluait au réveil, venait de s'en aller. Tout comme son lit, son frigo était un élément important dans son appartement. Ca pourrait peut-être passé aussi. Ou bien, il faisait le fou, et disait carrément les deux. Voilà. Les deux amours de sa vie venaient de le quitter. Bam. La triste nouvelle de dingue.
Mais connaissant Kyohei, ça ne marcherait pas. Dommage. Mais il retenait un point pour y avoir pensé, un autre pour l'idée qui était tout de même assez incroyablement presque vrai, et un autre pour avoir presque tenté de le dire à haute voix. En réalité, il n'avait même pas essayé de le dire à son ami, il ne voulait pas se faire taper, encore. Une fois, c'était déjà trop.

Il soupira une nouvelle fois tout en se tournant, passant sa main sur son visage. Il pouvait dire ce qui n'allait pas, sans dire ce qui n'allait pas... Bref, il pouvait rester flou tout en disant la vérité.

« Une amie a des soucis, et je peux rien faire pour l'aider »

Et voilà, c'était dit ! Sa gorge avait presque saigné en disant cela. Ces mots avaient eu du mal à sortir, c'était peut-être pour ça que la deuxième partie de sa phrase avait été dite rapidement, mais quelque peu tremblante.
Donnant le dos à son ami, il observa à nouveau l'extérieur. Il ne pouvait pas toujours pas le regarder très longtemps pour le moment.

« Je vais changer de métier aussi. Je vais devenir une plante verte », lâcha-t-il, « J'suis quand même inutile de toute façon alors autant décorer une pièce », finit-il dans un chuchotement, blessé par la triste réalité.

Qu’est-ce que ça pouvait être frustrant ? Voir un ami souffrir, se tourmenter et n’être capable de rien sous prétexte que ce dernier refusait de dire quoi que ce soit. Plus têtu qu’une mule. Hors, Kyohei n’avait pas dit son dernier mot non plus et comptait bien lui sortir les vers du nez. Il n’avouait pas tout et avançait par fraction, faisant soupirer son camarade qui luttait pour ne pas le taper gentiment afin que Ren parle plus vite. Parce que si déjà il en avouait un peu, il finirait par avouer le reste. C’était toujours comme ça avec lui... Il n’était pas bavard, comme lui, il ne se confiait rarement toutefois s’il venait vraiment à le faire, c’était que ça allait mal et qu’il en avait besoin. Il fallait trouver les bonnes manières pour la rassurer, pour le motiver également car ce n’était pas uniquement en lui disant qu’il pouvait lui faire confiance, que Ren aura envie de parler. Ca concernait une amie à lui, d’accord. Le magicien n’est pas forcément le mieux placé quand les femmes sont concernés cependant sait-on jamais, peut-être pourrait-il être de bons conseils. Ca serait bien pour une fois.

Jusque là, ça avait toujours été son camarade qui avait été là pour lui, qui lui avait prêté main forte en cas de problème et peu importait le nombre de fois où il avait pu le remercier, Kyohei n’avait jamais considéré ça comme quelque chose de suffisant. Il s’était promis que si un jour son ami avait besoin de lui, il aimerait être au premier rang pour l’aider. C’était ce qu’on était censé faire en amitié, se soutenir constamment. Et il y tenait. Ren était comme son frère, il était toujours joyeux, toujours là et ce malgré ce qui a pu se mettre entre eux ces derniers années. Ensemble, ils étaient un peu les rois des bêtises, à faire des pyjamas party presque tous les mois mais en dehors de cela, ils étaient avant tout de grands amis qui se connaissaient depuis le collège. Ils avaient gardé leur âme d’enfant néanmoins bien que parfois on pourrait en douter, ils avaient grandi, ils étaient devenus des adultes et à côté de ça, ils avaient une vie qui n’était pas tout le temps facile à gérer. Kyohei voyait toujours son camarade un peu comme un mythe, il souriait tellement souvent qu’il était quasi impossible de l’imaginer avoir des problèmes et pourtant, le jeune homme ne se voilait pas la face. Sourire ne signifiait pas forcément aller bien. Et en ce jour, il lui faisait réellement de la peine. Si déjà Ren s’expliquait, lui disait ce qui le tracassait tant, ça avancerait peut-être les choses. Il n’était pas aussi inutile qu’il croyait l’être par ailleurs.

- Tient, c’est une bonne idée ça, Déclara le magicien d’un sourire en coin, Je me disais que justement, ça manquait de verdure dans mon salon.

Plutôt que le frapper, autant lui lancer une vanne, ça pouvait tout autant fonctionner qui savait ? Sur ses mots, Kyohei leva ses yeux au ciel comme pour montrer à quel point son camarade était incorrigible.

- Tu vas arrêter quand de dire des conneries ? Non parce que là je crois que je pourrais presque te donner un trophée. Rien que le fait que tu t’inquiètes pour cette fille prouve que tu n’es pas inutile. T’as pas obligatoirement besoin d’agir pour être utile et je sais de quoi je parle.

Ô que oui, il le savait. Mieux que quiconque mais il était souvent difficile de se rendre compte des bonnes choses qu’on faisait pour les autres. Lui ne comptait plus le nombre de fois où ça n’allait pas plus que ça par le passé et que Ren, juste avec sa présence et ses bêtises, l’avait sans même le savoir.

- Elle a quoi comme problème cette amie pour que tu te tracasses autant ? Et arrête de tourner autour du pot sinon je vais vraiment m’énerver et là, ça sera pas du joli.

Pour compléter ses paroles, Kyohei fronça ses sourcils et la lueur dans ses pupilles devint tout à coup plus ferme, plus sévère. Il était sérieux et son interlocuteur devait savoir qu’il était préférable de ne pas le mettre en colère.

Laissant son regard rapidement traîner dans le reste de la pièce, il confirma d'un signe de tête que oui, ça manquait de verdure par ici. Ca tombait bien alors. Il y avait justement assez de place dans le coin là-bas pour accueillir une plante Ren. Il lui fallait juste encore un pot autour des jambes pour pouvoir l'arroser, et tout serait parfait. Et il fallait penser à le nourrir aussi, boire c'était bien mais manger, c'était mieux.

Son regard toujours porté sur l'extérieur, il croisa simplement les bras à la remarque de son ami. Il ne disait pas de conneries, pour une fois. S'inquiéter pour elle ne changeait rien. Il était là, chez son ami, à regarder par la fenêtre, alors que Harumi était Dieu ne savait où, en train de faire Dieu ne savait quoi, avec Dieu ne savait qui.
Il voudrait lui téléphoner, prendre de ses nouvelles, mais ne voulait pas non plus paraître trop insistant. Enfin, c'était ce qu'était un papa poule donc à la rigueur...
Il savait que Kyohei énervé, c'était pas du joli. Sans que lui, énervé, c'était pas du joli non plus.
Il y allait à son rythme, il n'avait pas l'habitude de parler de ses problèmes. Il détestait toujours autant ça et détesterait ça sûrement toute sa vie. Il était comme ça...
Favorisant le mutisme pour le moment, il se contenta de soupirer. Encore et encore. Parce qu'il pensait que c'était la seule chose qu'il pouvait faire actuellement.

Il pouvait faire confiance à Kyohei. Il le savait. Il pouvait tout lui dire et ne serait ni juger, ni menacer d'extinction ni quoi que ce soit de dangereux. Mais là, ça ne concernait pas que lui.
Personne ne s'en rendait vraiment compte, mais parler de ce qui n'allait pas était plus dur qu'on ne le pensait. Pour Ren comme pour d'autres. Il préférait sourire, raconter des bêtises, ou s'occuper de ses amis. Il n'aimait pas quand c'était l'inverse et que c'était à eux de s'occuper de lui. C'était peut-être un souci de fierté mal placée, lui-même ne savait pas réellement.
D'ailleurs, lui-même se déprimait parce qu'il déprimait. C'était un cercle vicieux tout ça...

Il se tourna lentement, prêt à dire ce qu'il se passait, mais quand son regard croisa celui de son ami, sa voix se bloqua. Il ne bougea plus pendant quelques secondes, ses yeux toujours plongés dans ceux de Kyohei.
Soupirant faiblement avant de reprendre place sur le canapé, il en conclut donc qu'en plus d'être une magnifique plante verte, il était un handicapé social. Bien bien...

« Elle a des... soucis », dit-il en fronçant les sourcils, lui-même peu sûr de sa phrase. Il l'avait déjà dit non ?

Oui, bon, alors, on avançait. Doucement. Peut-être un peu trop. Mais fallait pas le brusquer, pas maintenant ! S'il commençait à parler, il allait certainement continuer. Il lui fallait juste des temps d'arrêt, pour se permettre de peser le pour et le contre, et pour souffler un peu.

« Quelqu'un la fait chanter », continua-t-il d'une voix lente.

Voilà. Il avait tout dit non ? Enfin, oui, en résumé, vite fait. Kyohei allait comprendre de qu'il s'agissait... Comment ça non ?!

« Harumi. C'est Harumi... », murmura-t-il en baissant la tête pour regarder ses doigts.

Kyohei savait que la jeune femme était importante pour lui. Ils se connaissaient depuis longtemps, et elle était l'une de ces personnes chères à son cœur, au même titre que Kyohei et Naoki. Lui faire du mal revenait à lui faire du mal à lui aussi, indirectement.

« Quelqu'un la fait chanter.. et je sais même pas qui ! Elle a pas voulu me le dire. Je vois pas pourquoi elle a pas voulu, je serais juste aller lui donner un gentil coup de pelle, un truc comme ça »

C'était amical un coup de pelle, non ?

En soit, il ne savait pas s'il pouvait dire la cause de ce chantage. Il ne savait pas s'il pouvait avouer à Kyohei que Harumi faisait partie des NSA. Il ne voulait pas lui mettre encore plus de problèmes sur le dos.

Son regard ne lâchait pas celui de Kyohei. Il voulait lui dire que la preuve était bien là, il était inutile. Il ne faisait rien, à part se plaindre et soupirer. Et aucune de ses deux choses n'allait aider Harumi.

« Tu vois, plante verte, c'est sympa au final »

Quel ami ridicule il faisait là.
Il en vint alors à se demander s'il serait capable d'aider Kyohei s'il avait des soucis, ou Naoki. Pourrait-il faire quelque chose pour eux, à défaut de ne pas pouvoir aider Harumi ?
Un autre soupir quitta ses lèvres alors qu'il laissait tomber sa tête tomber en arrière. Oh il les sentait bien là, les maux de tête...

Ne pas pouvoir aider son amie le frustrait autant que ça l'énervait. Heureusement qu'il était une personne calme de base, sinon il aurait sans doute déjà cassé quelque chose, ou se serait mis en colère, plus violemment qu'actuellement. Contre lui-même et contre celui qui faisait chanter Harumi.

Harumi ? Sérieusement ? Kyohei s’étonnait lui-même de ne pas y avoir pensé avant. En général, ils connaissaient tout sur l’autre et s’ils avaient Naoki comme ami commun, ils connaissaient également cette jeune femme. Ca aurait dû lui mettre la puce à l’oreille quand Ren avait dit « une amie » cependant à croire qu’il ne portait pas grandement cette demoiselle dans son coeur pour y songer. Mais du coup sa curiosité était éveillée. Son camarade l’ignorait seulement lui et Harumi étaient contraint de se voir pratiquement tous les jours. Ils travaillaient même sur un dossier en duo. Elle lui avait paru aller bien, si ce n’était certaines réflexions qu’elle avait pu lui lancer quand ils se croisaient. Maintenant qu’il y réfléchissait, sa collègue avait l’air fatigué. En soit, ça ne le concernait pas donc il n’avait que faire que la demoiselle soit malade, épuisé ou autre chose. Mais maintenant que Ren était mêlé, ça le regardait de plus près car évidemment, le magicien ne pouvait pas supporter de voir cette inquiétude dans les yeux de l’un de ses plus proches amis. Lui qui était si souriant habituellement, Kyohei détestait le voir dans un tel état et quelque part au fond de lui, il en voulait à Harumi d’avoir réussi à le tracasser autant. S’il avait des problèmes, en règle général, il les gardait pour lui parce qu’il savait d’avance que son camarade serait capable de se morfondre encore plus que lui. Le sentiment d’être inutile n’était pas facile, c’était d’ailleurs la pire émotion qui puisse exister et il devait se retenir de ne pas secouer nerveusement sa main dans ses cheveux. Agacé de tout ça. Le fait qu’il n’apprécie pas la jeune femme n’aidait pas et le mettait encore plus en colère. Ce n’était pas de sa faute si elle ne parvenait plus à jouer à la forte et qu’elle avait besoin d’un ami seulement ça l’énervait. Parce que à cause de ça Ren était mal. Et qu’il ne lâchait pas cette histoire stupide de plante verte. Kyohei avait encore envie de le frapper afin que son ami se reprenne mais ce n’était pas la solution. Pas avec lui.

Le coup de pelle aurait pu le faire rire néanmoins le magicien avait gardé le silence, fronçant les sourcils. Il essayait de deviner parce que quelque chose lui disait que Ren ne racontait pas la totalité de l’histoire. Il espérait que ce n’était pas ce dont à quoi il croyait mais malheureusement, il ne pouvait même pas lui poser la question.

- Tu arrêtes avec ta plante verte, Rétorqua le garçon d’un ton plus sévère qu’il ne l’aurait voulu, Non mais tu t’entends ? Tu crois sérieusement qu’être ami, c’est aussi aller foutre des coups de pelle aux gens qui embêtent nos proches ?! On ne peut pas tout le temps intervenir mais écouter c’est déjà bien. Arrête de te dire inutile, tu ne crois pas que ça aurait été pire si tu n’avais pas été là du tout ?

Parfois une présence, une oreille attentive suffisait pour enlever certains poids sur le coeur d’une personne non ?

- Sinon, c’est moi ou il y a autre chose ?

Que Ren ne dise pas le contraire, ça faisait des années qu’ils se connaissaient maintenant. Et là, dans l’état actuel, il ne pouvait rien lui cacher. Son regard le trahissait complètement.

- Alors ? Tu sais que tu peux me faire confiance Ren. Je ne suis pas idiot et je vois bien que ça ne va pas, qu’il y a autre chose qui te tracasse.

Si bien que Kyohei hésitait entre l’envie de savoir ou non. Cependant, il voulait le soutenir du mieux qu’il le pouvait alors il espérait que son camarade ne se braque pas encore. Ils avaient toute la nuit devant eux certes néanmoins à choisir il préférait ne pas tourner autour du pot pendant des heures.

Un faible soupir quitta ses lèvres. Oui, il s'entendait parler et tout son être était d'accord avec lui. Il croisa les bras sur son torse, détournant le regard. Et puis non, il allait pas arrêter avec sa plante verte, nah.

En l'instant, il avait du mal à résonner comme son ami. C'était bien d'écouter, oui, c'était même vraiment génial d'avoir quelqu'un à se confier. Mais à quoi cela servait-il de parler, encore parler et toujours parler, si au final la personne à laquelle on se confiait ne pouvait rien pour nous aider ?
Ca ne dérangerait jamais Ren d'écouter les problèmes de ses amis, au contraire, si cela pouvait les aider à aller mieux, il les écouterait volontiers pendant des jours et des jours. Le souci, pour le moment, était qu'il avait envie de faire quelque chose, et pas juste reste là, à compter le carrelage de sa cuisine.
Lui-même se disait toujours prêt à écouter ses proches. Lui-même le répétait sans cesse. « Si tu as un souci ou quoi que ce soit, tu me le dis », ou quelque chose comme ça. Il était le premier à lâcher ça dès qu'il voyait qu'un de ses proches allait mal.
Mais là, actuellement, ne rien pouvoir faire le bouffer littéralement de l'intérieur. Il avait écouté Harumi, oui, mais au final, sa situation n'avait pas évolué. Alors, qu'est-ce que ça changeait ?

Se mordant discrètement la lèvre, Ren fit semblant de ne pas entendre ce que Kyohei venait de dire. Il entendait rien, lalala ~
Sauf qu'il aurait dû compter sur le côté insistant de son vieil ami. Ha, ces têtus... quand ils avaient quelque chose en tête ils l'avaient pas ailleurs dis donc ! Chose qui s'appliquait très bien à lui mais mettons sous silence ce petit détail.

« Ca ne va pas parce que je peux rien faire. Ecouter, c'est pas assez », conclut-il.

Il regarda à nouveau ses mains, et continua, ne voulant pas entendre Kyohei lui dire que si, c'était amplement suffisant.

« Sa situation n'a pas changé parce que je l'ai écoutée. Ca me dérangera jamais d'écouter, au contraire. Mais j'ai l'impression de faire que ça, écouter. J'agis pas derrière... tu vois ? »

Il tenta un regard vers son ami. Il voulait tenter de lui faire comprendre comment lui voyait la chose. Mais ce n'était pas facile pour lui de mettre des mots sur tout.

« C'est pour ça que j'en conclus que je suis inutile. Je sais pas si le fait d'écouter a vraiment aidé quelqu'un un jour... »

Un gros soupir quitta ses lèvres alors qu'il se levait une nouvelle fois. C'était rare qu'il parle autant de ce qui n'allait pas. Ou plutôt, de ce qu'il ressentait. Il était ce genre de personnes à toujours vouloir faire croire que tout allait bien. Il n'aimait pas inquiéter les autres, il n'aimait pas leur faire perdre leur temps, il n'aimait pas parler de ce qui n'allait pas.
Parler de ce qui allait, parler de la pluie et du beau temps, parler d'un canapé ou d'une fleur, ça, ça ne le dérangeait pas.

Son regard plana un instant dans le vide. Plus il parlait, plus il avait l'impression de rajouter des soucis sur le dos d'Harumi. Il ne voulait pas faire ça, il ne pouvait pas lui faire ça... Il avait accepté de l'écouter, pour l'aider, et non pour la mettre encore plus bas que Terre.
Ses doigts se mirent alors à masser lentement ses tempes, alors que ses yeux se fermaient.

« J'ai pas l'impression qu'un jour je pourrais vraiment faire quelque chose pour les gens à qui je tiens. C'est triste non ? », dit-il en faisant à nouveau face à Kyohei, « Je peux pas agir pour Harumi, comment je pourrais le faire pour quelqu'un d'autre, hein ? Si demain tu viens me voir en disant que tu as un souci, j'suis sûr que je pourrais très certainement rien faire. Encore », finit-il le regard peiné par son incapacité.

Oui bien sûr, il pouvait écouter, et c'était parfois ce qu'il fallait. Il le savait. Sauf que ce n'était pas toujours le cas.
Une sorte de léger grognement résonna dans le fond de sa gorge, son corps se tournant automatiquement à nouveau vers la fenêtre. Il se trouvait lamentable.
Mais il ne voulait pas conclure là-dessus hein ? Kyohei allait certainement lui demander des précisions sur ce qu'il se passait réellement. Il commença alors à murmurer quelques paroles, comme si le bouton « on » de sa bouche venait de s'enclencher. A savoir s'il faisait exprès de parler vite et faiblement... lui-même n'était pas sûr. Il ne contrôlait plus vraiment sa bouche, elle agissait par elle-même, comme pour le soulager un peu.
La seule chose qu'il réussit à prononcer assez distinctement fut « NSA ». A Kyohei de voir ce qu'il allait faire de cette information.

S’il n’en avait pas l’air, Kyohei comprenait ce que son ami ressentait. Et il le comprenait plus que bien. C’était frustrant d’avoir ce sentiment de ne rien pouvoir faire pour ceux qu’on aime, de se sentir inutile et d’avoir l’impression de ne rien faire de bien. Pourtant Ren n’avait pas idée à quel point, il avait pu aider, à quel point sa simple présence était importante. C’étaient des choses qu’on n’avouait pas souvent, qu’on gardait pour soit sans dire ô combien on était redevable à nos proches. Dans son entourage, s’il y avait une personne à qui le magicien devait beaucoup, c’était ce garçon là. Peu importait les circonstances, il avait toujours été là, il l’avait accueilli les bras ouverts et avait été le premier à lui offrir une si belle amitié quant il était entré au collège. Voilà pourquoi il ne pensait pas déclarer ses paroles sans savoir... Il était le mieux placé pour savoir que ça faisait du bien. Non, c’était vrai, Ren ne pouvait pas porter main forte à Harumi. Il ne pouvait pas être là lorsqu’elle se faisait attaquer par cet inconnu cependant le simple fait qu’elle se soit confier à lui était qu’à la base, la jeune femme avait besoin d’en parler non ? Même si ça ne l’avait pas soulagé entièrement, ça avait dû la soulager ne serait-ce qu’un minimum.

Et, en ce jour, Kyohei était « content » que son camarade se confie de la sorte, qui laisse échapper ce qu’il avait sur le coeur, ce qu’il éprouvait et qui le tourmentait. Mine de rien, ça devait lui retirer un poids d’expliquer ses sentiments et le magicien l’écoutait avec attention, prenant soin de ne pas l’interrompre dans chacune des paroles qu’il prononçait. Et pourtant, à chaque fois, il avait voulu le couper, lui dire qu’il l’avait sauvé plus d’une fois en l’écoutant, qu’il lui avait porté de nombreux coups de main sans s’en apercevoir par le passé. Il avait voulu également lui avouer qu’il était une personne formidable et que ça l’horripilait de l’entendre se surnommer de plante verbe. Son ami méritait mieux que ça. Hors, il ne s’en rendait pas compte et pour le moment, Kyohei ne préférait pas interagir, le laissant dans son discours. Même quand un lourd silence s’était installé, le garçon n’avait pas parlé et l’avait simplement regardé parce qu’au vue de son attitude, Ren semblait vouloir encore déclarer quelque chose.

La sentence tomba soudainement et bien qu’il s’y attendait, le magicien n’avait pu empêcher la pâleur prendre place sur sa figure. Harumi lui avait dit. En plus de se mettre en danger, elle mettait leur ami en danger également. Mais, il était choqué. Parce qu’il avait espéré se tromper, il avait espéré que cela soit tout sauf ça et malheureusement ce ne fut pas le cas. Il ne savait même pas comment réagir. Là encore, il aurait aimé lui dire de ne pas s’inquiéter, qu’il pouvait se charger de tout parce qu’il était lui aussi un agent toutefois, qu’il sache pour Harumi était déjà trop et il se voyait mal lui ajouter un poids de plus sur la conscience. Surtout que lui avouer signifier prendre le risque de le mettre en danger.

Le jeune homme s’étonna lui-même de sa propre réaction seulement en cet instant précis, il en avait eu envie, il en avait ressenti le besoin. Plus pour son ami que pour lui mais l’un n’allait pas sans l’autre de toute manière. S’ils étaient seuls, ils n’iraient pas bien loin. C’étaient parce qu’on était autant entouré qu’on était capable d’avancer. Ca valait également pour eux. Sans rien dire pour le moment, Kyohei s’était rapproché doucement de son camarade où il déposa une main rassurante sur son épaule. Son regard croisa le sien pendant quelques secondes et une légère esquisse avait tracé son visage avant que lentement, sûrement, ses bras vinrent enlacer ses épaules. Il ne le lâcha pas, se contentant simplement de poser sa paume au niveau de son dos. Il était là et il comptait bien lui prouver que quoi qu’il arrive, il serait toujours là. Que cela soit pour rire avec lui, pour le sermonner et lui faire la morale, pour l’écouter, pour le réconforter mais surtout pour lui faire comprendre à quel point Ren était formidable et qu’il ne devait jamais douter de ça. Au contraire, il devrait en être fier.

- Tu as plus fait pour moi que tu ne sembles le croire, Avoua le magicien d’une voix étrangement calme, sans jamais se décaler, Je ne me tiendrais pas fièrement aujourd’hui si tu n’avais pas été là. Arrête de douter autant de toi. Mais tu sais, on n’est pas des supers héros, on ne peut pas tout réussir bien dans la vie.

Si on pouvait aider tous nos proches, leur venir en aide au moindre problème ça serait bien, malheureusement il y avait certains soucis pour lesquels, on ne pouvait rien faire. Certes, sans le savoir Ren allait aider Harumi. Kyohei irait lui porter main forte à sa place même si ça ne l’enchantait pas tant que ça mais cela, il ne pouvait pas le lui avouer.

- Je te comprends. Plus que tu ne le penses. Je comprends ce que tu dois ressentir et à quel point ça doit être frustrant. Tu n’as peut-être pas pu agir mais pendant un temps, tu as été là pour elle, tu l’as écouté et rien que ça, ça l’a sûrement aidé. Pas complètement, c’est sur. Mais un minimum.

C’était rare que le jeune homme parle autant, en particulier de choses aussi sérieuses. Seulement, il y avait des situations comme celle-ci où on ne lui laissait pas forcément le choix.

- On finira par trouver une solution. Arrête de te rabaisser avant même d’avoir essayé. Tu ne peux peut-être pas aller frapper ce gars à coup de pelle mais tu peux être présent pour elle non ? Pourquoi ne pas lui rendre visite plus souvent ? T’assurer qu’elle aille bien, l’aider dans son temps libre ou même aller au bar où elle travaille. Tu sais ce qu’on dit ? Que parfois les gestes les plus infimes sont également les plus forts. Ca, c’est encore dans tes cordes non ? Je suis certain que ça la motivera à se démener et ne pas se laisser abattre. Tu n’as pas idée ô combien toutes ces petites choses peuvent aider une personne à avancer, à se relever à chaque fois qu’elle tombe. Et je parle en connaissance de cause. Si toi tu ne t’en souviens pas, moi je m’en souviens très bien.

Ces jours où à l’époque Kyohei était triste à cause de sa mère qui l’ignorait totalement, à cause de cette maison qui était invivable pour lui et qui l’avait tant détruit. Il essayait de ne rien montrer, de garder ses tristes sentiments à lui seuls néanmoins Ren avait dû le remarquer. Et s’il ne pouvait pas se rebeller contre la mère Tachibana, s’il y avait une chose qu’il avait pu faire, c’était tenté de l’occuper, de lui changer les idées et lui redonner le sourire. Alors ils étaient sortis plusieurs fois, le magicien avait même passé certaines soirées chez lui où ils avaient parlé de tout et de rien. Non, il n’avait pas aidé à arranger la situation entre sa génitrice et lui cependant il avait été présent. Toujours. Et ça, ça valait tout le reste.

En sentant l'étreinte de son ami, il ne réagit d'abord pas. Même s'il avait croisé son regard et son sourire, il avait pensé que Kyohei allait gentiment lui faire la morale. Mais il ne s'était pas attendu à ça, à ce câlin.
Une faible esquissa souleva le coin de ses lèvres alors qu'il refermait doucement son bras autour de son ami. Sa main s'agrippa d'elle-même à son haut, comme s'il s'agrippait désespérément à une bouée de sauvetage.
Il avait détourné le regard depuis, ne pouvant regarder son ami dans les yeux pour le moment. Il se sentait toujours aussi minable, il ne pouvait pas lui faire face. Méritait-il d'ailleurs de se retrouver dans la même pièce que lui ? Bonne question.

Quand Kyohei commença à parler, il le laissa faire, sans l'interrompre. Il fronça les sourcils par moments, les haussa aussi, ou alors sourit discrètement. Il arrivait aussi que son visage n'affiche rien, et pourtant, son cœur se réchauffait petit à petit. Ca lui faisait du bien d'entendre ces mots. Peut-être étaient-ce les mots qu'il voulait entendre ? Les mots qu'il avait besoin d'entendre.

Un petit « Mm » peu convainquant quitta les profondeurs de sa gorge. Oui il avait été là pour Harumi. Il l'avait écouté, et lui avait même fait à manger. Mais il doutait que cela ait servi à quelque chose. Il offrit tout de même un autre petit sourire à son ami, même si lui-même était peu sûr qu'il ait aidé son amie, ne serait-ce qu'un peu.

Un léger haussement de sourcil accapara son visage avant qu'il ne hoche la tête, lentement. Bien sûr, ils allaient trouver une solution... quand ce sera trop tard. Ren était peu optimiste quant à l'avenir. Il avait peur pour son amie, peur qu'il lui arrive quelque chose, peur qu'elle n'allait pas mieux, peur de la perdre peut-être aussi ?
D'ailleurs, au fur et à mesure des paroles de son ami, ses doigts se resserrait sur le morceau de tissu qu'il donnait dans sa main. Il ne s'en rendait même pas compte.

Puis finalement, la voix de Kyohei cessa de résonner dans l'appartement. Il releva légèrement le visage vers lui. Sa main se desserra petit à petit, libérant ainsi son ami.
Ce n'était peut-être pas la solution qu'il attendait, mais c'en était une. Aller voir Harumi plus souvent, quitte à devenir lourd et trop collant, il pouvait le faire. Il était plutôt doué dans le métier. Il pouvait aller la voir à son travail, et s'assurer que tout allait bien. Oui, il allait faire ça. Il allait prendre de ses nouvelles, l'appeler, passer chez elle, et pourquoi pas organiser quelques sorties aussi, histoire de lui changer les idées. Ils pouvaient aller au cinéma, il accepterait de voir n'importe quoi, même un Disney, le temps que son amie pense à autre chose.

« Merci... », murmura-t-il lentement.

Il lui semblait essentiel de remercier Kyohei maintenant. Ce n'était peut-être pas si mal d'être venu le voir non ? Il avait pu vider son sac. C'était tellement rare qu'il en dise autant. Tellement rare qu'il parle autant de lui, de son état de faiblesse face à la détresse de ses amis. D'habitude, il gardait tout ça pour lui.
Il y avait très peu de personne qui savait comment Ren se voyait : faible, et lamentable. Surtout dans des situations comme celles-ci.

Il souffla un long coup, fermant les yeux quelques secondes avant de les rouvrir. Il plongea son regard dans celui de son ami, avant de baisser les yeux pour finalement le regarder à nouveau.

« Si on te demande, tu n'as rien entendu, hein »

Il sous-entendait là son incantation à voix basse où il avait parlé des NSA et tout le tralala. Cependant, Kyohei n'avait pas relevé ce détail... il n'avait sans doute pas entendu. Oui, voilà, il n'avait pas entendu.
Il préférait se dire ça plutôt que de s'avouer avoir révélé le secret de Harumi. Ca lui ferait trop mal de savoir qu'il lui mettait d'autres soucis sur le dos.

« J'veux dire... bref. C'est rien », souffla-t-il lentement, « Je vais suivre ton conseil, j'irais la voir, j'lui téléphonerais souvent, j'enfilerais mon masque de papa poule, le temps que tout rentre dans l'ordre... »

Sa voix s'était faite plus basse vers la fin de sa phrase. Tout allait-il pouvoir rentrer dans l'ordre ? Oui, bien sûr, il avait qu'à le demander au Père Noël et tout se réaliserait, hm ? Un énième soupir vint s'abandonner sur ses lèvres alors que sa main massait lentement sa nuque. Ca allait lui donner des cheveux gris tout ça...

« J'espère que tout rentrera dans l'ordre... Tout rentrera dans l'ordre tu crois ? »

Il envoya un regard mi-interrogateur mi-désespéré à Kyohei. Allez, il devait bien le savoir lui... Comment ça non ?

« Ca me tue qu'on puisse faire subir ça à quelqu'un. Ca me viendrait même pas à l'esprit de faire chanter quelqu'un. Le chantage c'est plutôt un truc de lâche, selon moi »

Il se considérait comme tel, un lâche, mais pas aux points d'utiliser les points faibles des autres. C'était inadmissible, même pour un être comme lui avec autant de courage qu'une casserole.

« J'ai bousillé l'ambiance, désolé », dit-il tout en riant faiblement, « Notre soirée tombe un peu à l'eau... »

Et voilà, maintenant il se sentait encore plus minable qu'avant. Il lança un petit regard désolé à son ami avant de se pincer les lèvres. Ils allaient devoir se faire une autre soirée, pour tenter d'oublier celle-ci.

Son coeur s’était serré à plusieurs reprises à la sensation de ses doigts qui avaient agrippé son haut mais Kyohei n’avait rien dit. Si c’était ce dont Ren avait besoin alors il n’y avait pas de problème. Il avait prié à ce que ses mots l’atteignent ne serait-ce qu’un petit peu et ça avait vraisemblablement fonctionné. Le magicien en avait été soulagé, se contentant de lui sourire sans relever la remarque en rapport à la NSA. Il était préférable que ça reste ainsi, il n’était pas nécessaire de revenir sur le sujet et prendre le risque de dévoiler sa véritable identité. L’unique chose que le garçon savait était que son ami ne devait plus s’en faire, qu’il règlerait le problème pour lui et qu’il aiderait Harumi, peu importait à quel point il ne la portait pas dans son coeur. Il ferait en sorte de la défendre à sa place et ce, jusqu’à ce que cet individu décide d’abandonner une bonne fois pour toute. Il ignorait de quoi était capable cet homme ni ce qu’il faisait subir à la jeune femme néanmoins ce qu’il savait était que celui-ci s’en prenait à plus faible que lui. Et ça, ce n’était pas lâche, c’était pire. Depuis quand on agissait de la sorte au sein de la NSA d’ailleurs ? Si Terazawa l’apprenait, c’était cet individu qui risquait d’avoir des problèmes et probablement que ça lui rafraîchirait les idées de subir une telle leçon.

Dans un léger soupir, Kyohei parti s’assoir sur le canapé, dévisageant son camarade qui était encore en train de s’en vouloir. Mais ça faisait partie de sa personnalité donc quelque part, il ne pouvait pas lui reprocher son attitude. Juste qu’à choisir, il préférait que Ren est « gâché la soirée » plutôt qu’il annule celle-ci et se tourmente seul, sans en parler à qui que ce soit. Les amis, ce n’était pas uniquement que s’amuser dans les bons mots, cela signifiait également se soutenir dans les moments difficiles, être là lorsque quelque chose n’allait pas. Tant pis s’ils ne faisaient pas les fous, s’il n’y avait pas de bataille d’oreillers ou toute autre bêtise qu’on pouvait trouver dans une soirée pyjama. Ca n’avait pas d’importance, Kyohei ne lui en tiendrait jamais rigueur si en parallèle, son camarade était soulagé d’avoir pu se confier et libérer ce qui lui alourdissait le coeur.

- Tu n’as rien bousillé du tout, arrête tes conneries, Le gronda gentiment le garçon, Et je préfère que tu m’en parles plutôt que tu gardes tout pour toi. En plus, la soirée n’est pas encore terminée à ce que je sache. Allez, vient là.

Sur sa dernière phrase, riant doucement, il avait tapoté la place à côté de lui afin que Ren daigne enfin venir s’assoir à son tour. Il n’était jamais trop tard pour commencer une soirée non ? Une fois son ami à ses côtés, il remplit les verres à nouveau avant de lui tendre le sien.

- Moi je crois que ça ira, ce genre de personne, ça finit par se lasser à un moment ou un autre. Toi non plus, ne te laisse pas démonter, soutient là et tu verras que ça ira mieux.

Kyohei avait également choisi volontairement de ne pas relever les propos de son ami sur le persécuteur. Son camarade se doutait de toute façon qu’elle était l’avis du magicien. Il était totalement contre et il détestait ce côté lâche qu’avait certains, hors, discuter des heures et des heures sur le sujet n’arrangerait rien.

- Ca te dit qu’on s’y mette à cette soirée maintenant ? Ca te changera les idées puis si tu as encore besoin de parler, Tonton Kyohei est là.

Dans un sourire amusé mais sincère, il lui tapota l’épaule à nouveau, désirant que quoi qu’il arrive, Ren ne devait pas hésiter.

Il trouvait Kyohei trop gentil à dire qu'il n'avait rien bousillé. Bien sûr que si. Ils auraient dû passer du bon temps, à rire, à raconter et faire n'importe quoi. Et encore une fois, il n'était pas spécialement d'accord avec le garçon. Il aurait préféré garder tout pour lui pour ne pas embêter son ami, ni pour lui faire du souci. Mais il ne dit rien, se contentant de hocher simplement la tête quand il l'inventa à s'asseoir.

Il prit place, tentant du mieux qu'il le pouvait se détendre. Il l'observa remplir les verres et accepta celui qu'il lui tendait avec un petit sourire. Ils pouvaient encore sauver la soirée. Tout était possible avec eux.

« J'espère qu'il se lassera vite... », souffla-t-il, « Mais ça ira mieux, oui »

Il avait terriblement envie de le croire. Il voulait croire ces paroles et se dire que demain, quand il se réveillerait, tout ceci ne serait plus qu'un mauvais souvenir.
Il secoua alors légèrement la tête, tentant d'oublier toutes ces pensées négatives. Il devait se focaliser sur le moment présent, et actuellement, il devait passer une bonne soirée avec son ami. Rien que pour le remercier de l'avoir écouté et de l'avoir conseillé, il allait donner son maximum pour être au meilleur de sa forme pour le reste de la nuit.

Comme pour approuver les mots de Kyohei, il avala une longue gorgée avant de lui offrir un grand sourire. Il se mit même à rire en s'imaginant appeler son ami « Tonton ». Ca pouvait être drôle cela dit, il allait être obligé d'essayer la prochaine fois qu'ils se verraient.

« Allez, on s'y met », lâcha-t-il.

Il but les dernières gorgées de son verre avant de le poser sur la table basse. Il observa son ami un moment sans rien dire avant de simplement sourire.
Il voulait tellement le remercier, il voulait tellement lui dire que ses mots l'avaient soulagé, l'avaient aidé, et avaient eu un effet agréable sur son cœur. Mais ça, Kyohei devait déjà s'en douter non ?
Souriant le plus joyeusement qu'il pouvait, il déclara tout en s'installant confortablement sur le canapé :

« Que la soirée commence ~ »