I need to tell you something ▬

Il était dans les alentours de 5h du matin, et Ren était déjà réveillé. Comme chaque matin depuis plusieurs jours. C'était tous les jours le même manège. Il se couchait, dans l'espoir de dormir un peu, même si ce n'était qu'une heure ou deux, mais les mêmes images, les mêmes scènes, tout défilait continuellement devant ses yeux clos.
Alors il se réveillait, et gardait les yeux ouverts jusqu'à ce que son réveil sonne ou jusqu'à ce qu'il en ait assez. Il restait allongé, le regard rivé au plafond.
Il lui arrivait de se laisser légèrement sombrer, repensant à tout ce qui s'était passé, et tout ce qui avait été dit. Il revoyait encore souvent, trop souvent à son goût, le sang de son ami sur ses mains. Il lui arrivait aussi d'avoir un air de dégoût au visage parce qu'il lui semblait sentir cette odeur désagréable partout dans son appartement. Il s'était même lavé plusieurs fois dans une journée, parce qu'il avait eu l'impression que l'odeur le suivait et était présente partout sur lui.
Quand il y pensait, il se sentait quelque peu ridicule. Malgré ça, il n'arrivait pas à s'enlever l'idée de la tête que ses mains étaient propres.

La première chose qu'il faisait en se levant était bien évidemment de vérifier l'état de ses dernières. Il les inspectait, lentement et soigneusement. Bien sûr, il n'avait plus rien. Ses paumes étaient plus propres qu'autre chose. Il se disait que cette mauvaise et triste habitude allait certainement finir par s'estomper avec le temps.
Ensuite, il quittait sa chambre et faisait le tour de son appartement. Ca aussi, c'était idiot. Personne n'aurait l'idée d'attendre qu'il se réveille pour se cacher quelque part et pour le suivre partout avec une arme en main. Néanmoins, il effectuait ce geste quotidiennement.
Il s'assurait ensuite que sa porte d'entrée était bien fermée à clé ; on n'était jamais trop prudents. Même quand Harumi était là, il devait fermer à clé, ou lui demander de le faire. Simple question de sécurité intérieure. Mais c'était stupide. Ce n'était pas lui qui avait ouvert la porte ce soir-là... alors pourquoi en avait-il aussi peur ?
Après avoir vérifié tout ça, il partait dans la cuisine, dans l'optique de manger quelque chose pour se donner des forces et tenir le reste de la journée. Malheureusement, la plupart du temps, tout lui paraissait fade. Mais il se forçait. Parce que Harumi lui demandait gentiment de manger, parce qu'elle s'était donnée du mal pour lui préparer quelque chose et parce qu'il voulait leur faire plaisir, à elle et à Kyohei.

Après avoir mangé, il allait généralement sur le canapé et regardait la télé. Ou alors il lisait. Il parlait aussi avec son amie de tout et de rien. Bref, il s'occupait l'esprit avec autre chose. Par contre, il évitait tous les programmes policiers. Le bruit d'un coup de feu le faisait encore sursauter et une panique sourde secouait son corps. Il ne pouvait s'empêcher que quelque chose de mauvais allait se passer et il ne pouvait s'empêcher de lancer un regard désespéré à Harumi. Alors ils avaient décidé ensemble de laisser ça de côté.
De ce fait, il regardait des comédies romantiques, des comédies tout court et des films romantiques tout court aussi. Ce n'était pas spécialement les genres qu'il appréciait mais il n'avait pas le choix pour le moment.
Il écoutait aussi de la musique, parfois, quand il n'avait pas envie de regarder la télé. Il écoutait vraiment tout et n'importe quoi, le temps que ça le distraillait assez et que ça le faisait penser à autre chose, c'était bon.

Contre toute attente, son corps s'était vite fait à ce rythme terrible. Il se sentait toujours fatigué, mais c'était sans doute plus une fatigue psychologique que physique. Et malgré les cernes quelque peu distinctes sous ses yeux, il n'avait pas spécialement envie de se coucher durant la journée. Il préférait rester éveillé, prêt à réagir à la moindre chose, au moindre bruit, au moindre cri...
Néanmoins, même s'il pensait que son corps était habitué, il avançait presque au ralenti. Il faisait tout, doucement. Souvent, il se surprenait lui-même à agir comme un robot. Ces gestes-là, ces gestes quotodiens, ses mains, l'appartement, la porte d'entrée, manger... tout ça était devenu automatique. Il le faisait sans réfléchir. Pourtant il aurait cru avoir plus de mal à s'habituer à ce changement.

Ses parents, sa mère surtout, l'appelait presque tous les jours pour savoir comment il allait. Il ne savait même pas comment ils avaient été au courant de ce qu'il lui était arrivé, mais ils l'étaient. Il faisait de son mieux pour les rassurer, pour leur dire que tout allait bien se passer. Il leur expliquait aussi souvent qu'il n'était pas seul, qu'il avait du soutien et que c'était de cette manière qu'il remonterait la pente. Il leur avait même dit que Harumi restait parfois avec lui, qu'elle lui faisait à manger et qu'elle s'occupait très bien de lui.
En parlant de son amie, elle n'était pas là aujourd'hui. Kyohei lui avait envoyé un message, en lui disant qu'il devait lui parler de quelque chose. Alors il avait demandé à Harumi de prendre "congé". Il lui avait demandé de rentrer chez elle, pour se reposer et faire autre chose de ses journées que s'occuper de lui.

C'était d'ailleurs pour ça qu'il se sentait seul en ce moment. Seul et légèrement angoissé. Il ne savait pas de quoi Kyohei voulait parler. Que voulait-il lui dire ? Voulait-il lui avouer quelque chose ? Ou voulait-il tout simplement discuter ?

Un soupir franchit la barrière de ses lèvres alors qu'il s'installait sur son canapé, une pomme en main. Il n'avait pas la foi de manger autre chose pour l'instant. Il irait peut-être se faire quelque chose plus tard.
Il alluma la télé, croquant doucement dans sa pomme. Et voilà, c'était comme ça qu'il allait attendre que son ami vienne...

Il avait demandé à Kyohei vers quelle heure il pensait arriver. Il demandait ça à pratiquement chaque personne qui disait venir lui rendre visite. Comme ça, lorsqu'on toquait, il était sûr de qui il allait trouver derrière la porte. De ce fait, lorsqu'il attendait quelqu'un toquer, il quitta sa place pour se rendre dans l'entrée. Son pas était un peu mou et lent, mais ce n'était pas un manque de volonté.

Le son du verrou retentit dans son appartement avant qu'il n'ouvre doucement la porte, révélant son visage à son ami. Il l'accueillit avec un petit « Hey ». Il s'éloigna ensuite de la porte et indiqua à son camarade d'aller au salon.
Il referma la porte et partit automatiquement dans la cuisine, où il alla chercher deux verres et quelques boissons diverses. Il rejoignit Kyohei et déposa le tout sur le table, avant de reprendre la place qu'il occupait avant.

« Fais comme chez toi, je t'en prie, sers-toi », déclara-t-il en désignant le verre et les boissons.

Prenant la télécommande en main, il baissa le son de la télé, ne voulant pas louper ne serait-ce qu'une seule respiration de Kyohei. Il le regarda de longues secondes sans rien dire, un fin sourire aux lèvres.
Il n'était pas encore au mieu de sa forme, voir pas du tout, mais il voulait faire des efforts. Pour Kyohei. Il voyait bien qu'il  faisait toujours comme si tout allait bien, mais il se doutait que ce n'était pas le cas. Il faisait le fort devant lui, il disait qu'il allait bien mais que ressentait-il vraiment, tout au fond de lui ? Certainement la même chose que Ren, à quelques détails près.
Il l'admirait pour ça. Lui aussi disait qu'il allait bien, que tout allait comme sur des roulettes, mais l'on devinait rapidement que ce n'était pas vrai. Ce n'était pas totalement faux non plus, cela dit.
Il avait encore peur, il se sentait parfois triste et parfois en colère, il se sentait faible aussi. Mais il avait surtout cette impression de vide au fond de lui. Il lui manquait quelque chose, un peu de joie de vivre sans doute, ou quelque chose comme ça. Mais il le sentait, il manquait quelque chose. Il lui manquait cette partie de lui qu'il avait écrasée en appuyant sur la gâchette sur ce soir-là.
Soufflant légèrement, il tenta de mettre ce souvenir de côté. Non, il ne devait pas y penser. Pas maintenant.

« Comment tu te sens ? Ca va bien ? », osa-t-il demander finalement, « Et ton bras... ? »

Une légère grimace étira les traits de son visage. Il devait avoir mal.. même s'il n'allait pas lui dire. Il s'en voulait de ne pas pouvoir faire plus pour lui, de ne pas pouvoir faire quelque chose qui pourrait apaiser sa douleur et qui pourrait l'aider à guérir plus vite.

« Et ta femme, elle s'occupe bien de toi au moins ? Enfin, j'ai pas vraiment peur pour ça »

Alors pourquoi demandait-il ? Pour faire un peu la conversation avant de tomber sur le sujet dont Kyohei voulait parler, certainement.

Ce n’était sûrement pas la bonne période cependant après avoir réfléchi mainte et mainte fois, Kyohei s’était décidé. Il devait parler à Ren. Quand il l’avait croisé au parc l’autre jour, la mine qu’affichait son camarade ne lui avait pas plu le moins du monde. Il n’allait pas bien et en réalité le magicien n’avait pas besoin de le voir pour le savoir. Il était le mieux placé pour comprendre ses tracas et c’était la raison pour lequel, il faisait son possible pour ne pas perdre face à lui, rester souriant tout en essayant de ne pas l’inquiéter. Evidemment, jouer un surplus de comédie était inutile, son ami n’y croirait pas cependant il pouvait au moins tentait de lui faire avaler que niveau santé, il s’en sortait. Si le traumatisme était et serait toujours présent, cela ne signifiait pas que tout devait aller mal pour le jeune homme. Alors, il allait bien. Ren devait être sûr de cela. Rien de plus. Déterminé, le malade s’était même maquillé afin de camoufler ses cernes apparentes sous ses yeux qui lui donnaient à l’origine, un visage affreux. Là, ainsi, il paraissait avoir une mine meilleure. On remerciait Yui pour les produits de beauté. Même s’il ne disait rien, elle devait savoir que son mari y touchait. Les tubes ne se vidaient pas tout seul. Mais si son camarade l’accueillait avec une telle figure, il n’aurait jamais cessé de se tourmenter en se demandant si Kyohei allait vraiment aussi bien qu’il le déclarait. Et ce n’était pas lui qu’on devait rassurer, c’était Ren. Peut-être que ce n’était pas une bonne idée... Peut-être que le magicien risquait d’avoir plus de problèmes après cela et peut-être même que le garçon ne souhaiterait plus jamais lui adresser la parole seulement il se disait que si celui-ci découvrait la vérité, ça lui ôterait probablement un poids de la conscience. Il voulait assommer le persécuteur d’Harumi à coup de pelle, il n’y était pas parvenu. Seulement... Il lui avait tiré dessus, c’était presque pareil non ? Non, certes. Dans tous les cas, il était interdit de déprimer et de montrer ses faiblesses aujourd’hui. Ils allaient avoir une conversation sérieuse et le jeune homme se refusait de flancher devant son ami. Quoi que dise Ren, tout allait bien.

Lorsqu’il s’était présenté chez son ami, le magicien avait du prendre sur lui et ne pas sursauter quand celui-ci avait ouvert la porte. Néanmoins son corps s’était crispé tout entier et il avait du faire le plus gros des efforts afin de lui adresser un somptueux sourire en guise de salue.

Mentir n’était pas si simple qu’il n’y paraissait. Faire semblant encore moins. Cependant, ça avait toujours été dans les gênes de Kyohei. Il ne disait jamais rien quand il était triste, en colère ou qu’il avait mal quelque part. Il avait cette fâcheuse manie de tout garder pour lui, de vouloir se débrouiller seul et au fond ça le bousillait complètement. S’il arrivait à tenir, c’était parce que Ren avait besoin de lui, parce que ses proches seraient inquiets s’il baissait les bras et qu’il ne montrait pas toute sa volonté à s’en sortir. Ce n’était pas facile tous les jours et s’il était capable d’afficher une expression normale en cet instant précis, cela ne signifiait pas que son coeur était glacé par la peur, le chagrin et l’inquiétude.

Exécutant les dires de son hôte, le garçon était parti s’assoir non pas sans le quitter du regard. Ren lui semblait si fatigué... Est-ce que Harumi s’occupait sérieusement comme il fallait de lui ? Malheureusement, elle n’était pas divine et n’avait pas encore la faculté de pouvoir effacer des images horribles de la tête de quelqu’un. Alors Kyohei ne pouvait lui en vouloir car il se doutait que la jeune femme faisait son possible pour soutenir leur ami commun. Si déjà celui-ci mangeait correctement, qu’il n’avait pas des intentions idiotes et qu’il sortait de temps en temps pour se changer les idées, ça devrait suffire. Hors à ses yeux rien n’était jamais suffisant. Il détestait le voir dans ces conditions et aimerait tant pouvoir faire plus, pouvoir l’aider à avancer, à se battre puis lui permettre de comprendre un tant soit peu qu’il n’avait pas mal agi. Que s’il avait perdu une partie de lui-même, il la retrouverait mais ça prendrait du temps. Kyohei devait trouver les bons mots pour le convaincre toutefois on ne résolvait pas tout avec de simples mots. En particulier une personne comme Ren qui lorsqu’elle avait quelque chose en tête, il était difficile de le lui retirer.

- Je t’ai déjà dit que j’allais bien, Répondit le garçon sans oublier de lui sourire sincèrement, Yui est à mes petits soins. Je n’ai vraiment pas à me plaindre. Je suis comme un petit prince à la maison.

Ce qu’il n’aimait pas en réalité. Il détestait tellement qu’on doit autant s’occuper de lui alors qu’il avait toujours eu l’habitude de ne compter que sur lui-même. Il culpabilisait d’en demander autant à sa femme et ça l’enrageait d’être devenu un incapable. Il était misérable et dés qu’il contemplait son reflet dans le miroir, Kyohei se détestait tellement. Il haïssait ce minable qu’il était désormais. Il ne servait à rien, il était complètement inutile et ne pouvait rien faire. C’était frustrant... Affligeant. Malgré ça, aucune expression triste ne dessina sa figure et le garçon gardait fidèlement cette tendre esquisse accrochée à ses lèvres. Une esquisse qu’il changea petit à petit, pour laisser place à quelque chose de bien plus sérieux. S’il y avait un aspect de sa personnalité qu’on connaissait également chez lui était qu’il détestait tourner autour du pot pendant des heures. Il préférait en venir aux faits rapidement. Son angoisse ne cesserait jamais de s’agrandir sinon... Et même si ça le tourmentait plus qu’on ne pouvait l’imaginer, il n’avait plus d’autres choix désormais.

- Vient t’assoir. Je dois vraiment te parler, c’est important.

Un long s’installa ensuite une fois que son ami avait accompli sa demande puis l’avait rejoint à ses côtés. Le magicien avait soupiré faiblement avant de baisser son visage tristement. Il ne savait même pas par où commencer... Ou plutôt, il ignorait comment. Il ne désirait tellement pas braquer Ren, que celui-ci se fâche ou se mette à le juger soudainement sur ses actes qu’il avait exécuté jusqu’à aujourd’hui. Il avait toujours eu peur des représailles et des préjugés... Que ça soit par le passé ou à présent, Kyohei avait toujours terrifié par cela. Il faisait confiance en son ami cependant ce n’était pas parce qu’on était ami qu’on pouvait obligatoirement tout accepter. Certes, grâce à cela, il avait pu défendre Harumi néanmoins il dénonçait des personnes comme Ren et il ne culpabilisait pas plus que ça. Il se contentait de faire son travail et il n’avait pas envie qu’on le renvoie non plus. Aussi incompréhensible que cela puisse être, il s’y plaisait là-bas. Peut-être parce qu’il avait toujours ce sentiment d’être au moins utile pour quelqu’un. Oui, peut-être.

Soufflant à nouveau, le garçon demanda simplement à son ami de ne pas l’interrompre, que peu importait ce à quoi il pensait, il devait avant tout l’écouter. Après, il aurait tous les droits de juger mais pas tant qu’il n’avait pas fini de dire ce qu’il avait à dire.

- Je travaille aussi pour la NSA, Avoua alors le magicien de but en blanc, noyant ses prunelles noisette au creux de celles de son vis-à-vis.

La lueur à l’intérieur reflétait tout le sérieux de sa déclaration mais surtout, elle ne montrait aucune inquiétude à ce propos. Et Kyohei se doutait qu’avec ce simple regard, Ren comprendrait que lui n’avait rien contre ça. Cependant malgré tout, il ne put tenir l’échange plus longtemps que mal à l’aise, il égara ses yeux dans un point fixe dans la pièce. Il n’observait rien en particulier néanmoins du moment que ça lui permettait d’éviter le visage et de deviner les expression de son ami, ça lui allait. Il n’avait pas envie d’y lire la surprise, le dégoût, la déception, de la tristesse ou pire encore.

- Je ne te dis pas ça pour me plaindre mais parce que je veux que tu saches la vérité. Peut-être que ça t’aidera un peu à avancer comme ça.

Ou peut-être pas. C’était une équation à double tranchant. Soit ça marchait, soit ça ne faisait que l’effondrer un peu plus seulement au point où ils en étaient, Kyohei avait voulu tenter. Il n’était plus à cela prêt désormais.

- Ce gars qui s’est pointé à mon appartement... Etait le même gars qui s’en prenait à Harumi. Quand tu m’as expliqué pour elle, bien que je n’ai rien pu dire à ce moment-là, je ne voulais pas t’inquiéter encore plus, je suis allé l’aider. J’ai continué encore en pensant qu’il finirait par se calmer. Ce n’est pas arrivé. Je sais que tu t’en veux pour ce soir-là et même si je n’en ai pas l’air, je comprends mieux que quiconque. Juste qu’au bout du compte, en agissant ainsi, tu nous as sauvé mais avant toute chose, tu l’as sauvée elle.

« N’était-ce pas ce que tu voulais à la base » avait souhaité déclarer le garçon cependant aucun son n’était sorti de ses lèvres. Il en avait déjà bien assez dit et maintenant s’il le pouvait, Kyohei aurait voulu se comporter comme un lâche. Prendre ses clics et ses clacs afin de quitter cet appartement sans entendre la réponse de son camarade. Ce n’était pas normal d’avoir si peu confiance en soi... Ren ne l’abandonnerait pas comme ça. Pourtant, rien ne parvenait à l’empêcher de paniquer. C’était plus fort que lui.

Hochant doucement la tête à la réponse de son ami, il ne chercha pas plus loin. De toute manière, il savait que même s'il allait mal, même s'il n'en pouvait plus de cette situation, Kyohei ne lui dirait rien. Et pas la peine d'essayer de lui tirer les vers du nez, ça ne marcherait pas. Il fonctionnait un peu comme lui, dans le sens où il n'était pas facile de lui faire cracher l'information qu'on voulait avoir.
Cela dit, il ne releva pas non plus le fait que Kyohei n'avait pas répondu. Ren prenait ça comme un « Non, mon bras ne va pas mieux ». Alors plutôt que de perdre son temps avec des mots, il lui lança un regard inquiet tout en se pinçant les lèvres.

Il resta un moment sans bouger, se contentant d'observer son ami, voulant percer ses secrets, connaître la moindre de ses pensées, la moindre de ses émotions. Cependant, il ne capta rien. Rien du tout. Il avait toujours ce sourire accroché aux lèvres, et il se demandait d'où son ami tirait la force pour sourire. Lui n'y arrivait plus. Plus aussi facilement qu'avant, et il se surprenait à déprimer pour un détail aussi petit. Ce n'était pourtant pas compliqué de faire un beau et grand sourire. Il n'avait jamais trouvé cela dur, même quand ça n'allait pas. Mais là... ce n'était pas comme toutes ces fois. L'histoire était différente, la souffrance aussi... Rien n'était pareil et encore moins comparable.

Quand son ami lui intima de venir s'asseoir, il hésita d'abord. Peut-être que s'il restait debout, ils n'auraient pas cette conversation ? Il ne savait pas de quoi il voulait lui parler mais il redoutait un peu. Se mordant la lèvre inférieure, il prit place aux côtés de son ami, le visage tourné vers lui. Il attendait. Il ne savait pas quoi, mais il attendait. Et le silence qui s'était installé ne l'aidait en rien à se sentir rassurer. Qu'allait lui dire Kyohei ? Il s'inquiétait de plus en plus. Il sentait que les battements de son cœur s'étaient quelque peu accélérés sous la pression de l'attente, qui lui semblait interminable. Il voulut lui lancer, lui dire qu'il pouvait y aller et qu'il était prêt à tout entendre. Mais il ne pouvait pas mentir, car, non, il n'était pas encore prêt à pouvoir tout entendre.
Sans s'en rendre compte, ses doigts s'entremêlaient entre eux, se tordant et se pliant à répétition. Il ne savait pas comment évacuer le stress de l'attente autrement.
Il hocha la tête, acceptant de ne pas interrompre son ami.

Et la nouvelle tomba. Son coeur rata un battement alors que ses paupières ne cessaient de papillonner. Avait-il bien entendu ? Kyohei faisait parti des NSA ? Non. Ce devait être un tour de son imagination. Il n'avait pas dit ça. Ce n'était pas possible... ou bien ?
Il sentit soudainement sa tête le tourner violemment alors que son estomac s'amusait à faire des bonds. Il souffla un premier coup, comme pour se forcer à accepter la nouvelle mais n'y parvint pas. Alors il souffla une deuxième fois. Et une troisième. Et une quatrième...

Son regard était toujours posé sur son ami. Il n'avait pas pu se détacher de sa silhouette. Ayant accepté de ne pas interrompre son ami, il ravala difficilement sa crainte et sa surprise. Il se permit juste d'inspirer profondément, alors qu'à côté de lui, Kyohei recommençait à parler. La vérité ? Quelle vérité ? On lui avait donc cacher des choses. Enfin... une partie de lui s'en doutait, l'autre par contre était totalement crédule et pensait que tout lui avait déjà été dit.

Alors l'homme qui avait attaqué Harumi était le même qui avait attaqué Kyohei ? Et c'était Kyohei, ce collègue dont Harumi avait parlé, c'était lui qui l'avait aidé ? Ses yeux s'embuèrent lentement, mais aucune larme ne coula. Il ne voulait pas pleurer, mais tout semblait tellement... irréel ? Tout lui paraissait totalement dingue... et plausible à la fois.
Il souffla pour la énième avant de poser ses coudes sur ses cuisses et de se prendre la tête entre ses mains.

Il devait tout reprendre depuis le début. Analyser. Comprendre. Accepter. Il devait y aller doucement. Il devait laisser le temps aux informations de faire le trajet jusqu'à son cerveau.
Il se remémora alors les paroles de Kyohei. Ce dernier faisait parti des NSA, et c'était lui qui avait aidé Harumi. L'homme qui l'avait attaqué à son appartement était le même qui faisait chanter Harumi. Et donc, pour se venger, il s'en était pris à Kyohei ? Il était venu le voir dans son appartement pour faire quoi ? Le tuer ? Juste parce qu'il avait rendu service à une amie ? Juste parce qu'il avait sauvé des griffes de ce monstre ? Juste parce qu'il l'avait interrompu dans son plan stupide ?
Il ferma les yeux, laissant ses doigts masser ses tempes. Tout commençait lentement mais sûrement à se mettre en place. Harumi, Kyohei, NSA... Il commençait à mieux comprendre.
Et là, maintenant, il ne savait pas comment réagir. Il ne savait pas s'il devait simplement sourire à son ami en lui disant que ce n'était pas grave. Il ne savait pas s'il devait lui dire qu'il aurait voulu connaître la vérité plus tôt. Mais en même temps, il ne pouvait pas le lui reprocher. Il n'était pas censé avouer qu'il était un NSA. Il n'était pas censé lui dire ça... Stop. Kyohei et Harumi. Deux de ses trois amis les plus proches étaient des NSA !? Et ensuite ? Naoki allait venir la bouche en cœur en lui balançant qu'il faisait parti des NSA aussi ? C'était quoi la suite logique ? D'apprendre que tous ceux qui comptaient pour lui, tous ceux qui avaient une place importante dans son cœur faisaient partis de ce système corrompu ?
Il eut soudainement la nausée. La pièce semblait tourner tout autour de lui alors que les mots de son ami résonnaient encore et encore dans sa tête. Un léger son d'agacement quitta ses lèvres.

Il resta ainsi plusieurs secondes, le dos courbé, la tête entre ses mains. Aucun mot n'était sorti de sa bouche. Aucun autre son ne lui avait échappé.
Et enfin, un long soupira franchit la barrière de ses lèvres. Presque comme au ralenti, il se redressa et posa délicatement son regard sur son ami.

« C'est... Wow », lâcha-t-il.

Il n'avait pas d'autres mots pour décrire tout ça.

« J'ai presque du mal à y croire. J'veux dire, c'est... enfin... », dit-il dans un petit soupir, « C'est insensé. Harumi. Et maintenant toi ? Mais c'est... ah...  »

Il s'humecta rapidement les lèvres avant de passer une main sur son visage.

« Je sais pas quoi dire... C'est tellement... Mais en même temps, ça parait tellement logique », commença-t-il, « C'est un peu comme si tu venais de me donner les dernières pièces du puzzle », chuchota-t-il.

Honnêtement, il ne savait pas comment réagir. Il était à la fois ravi, et perdu. Ravi parce que, même s'il ne l'avait pas su, il avait aidé Harumi. Indirectement, en en parlant à Kyohei, il avait aidé la jeune femme à régler ses soucis. Mais aussi, en en parlant, il avait mêlé son ami à tout ça. Et puis, il y avait cette partie où il avait tiré sur cet homme. De ses propres mains. Mains qu'il se mit alors à fixer, les sourcils froncés. Ces mêmes mains qu'il avait détestées ces derniers jours, pour avoir été couverte de sang et pour avoir tiré, ces mains-là avaient d'une certaine manière sauvées tout le monde. Il avait du mal à y croire.

« J'ai pas servi à rien finalement... ? », demanda-t-il en relevant son regard désemparé avec un soupçon d'espoir vers son ami.

Il avait réussi à ne pas être aussi inutile qu'il le pensait en fin de compte ?

Peut-être que c’était stupide et lâche mais en cet instant précis, Kyohei ne désirait qu’une chose partir d’ici le plus rapidement possible. Il n’avait jamais remis en question son travail au sein de la NSA, il n’avait jamais pensé qu’un jour ça le ferait douter et que ça le ferait culpabiliser d’être agent dans un tel endroit. Pourtant ça ne lui déplaisait pas, il aimait ce qu’il faisait néanmoins il n’avait pas envie qu’on le juge sur ses activités. Surtout pas ses amis les plus proches. Même s’il ne l’avait jamais déclaré à haute voix, il avait besoin de Ren pour avancer. Il était comme son frère et si lui aussi le laissait tomber, que deviendrait-il ? Alors évidemment que s’il devait choisir entre son travail et son ami, le choix était vite fait bien que sa vie toute entière risquait d’être réduite à néant. Ca lui manquerait sûrement cependant il n’avait pas envie de le perdre et c’était la raison pour laquelle, en cet instant, le magicien souhaitait s’enfuir parce qu’il ne supporterait pas d’entendre le peu de reproches que pourraient lui faire son camarade.

Un faible sourire traça ses lèvres alors qu’il pensait que oui, ça devait l’être : « waouh ». Il ne pouvait pas se mettre à sa place parce que ce n’était pas lui qui apprenait une telle nouvelle mais certainement que ça devait faire un choc. La tête baissée, Kyohei ne dirait rien, le laissant réagir tout seul sans l’interrompre, sans lui répondre non plus. Qu’est-ce qu’il pouvait lui dire de toute façon ? Que sa réaction le tracassait plus qu’il ne l’admettait, que lui non plus n’allait pas aussi bien qu’il tentait de le faire paraître, que ce n’était pas être un agent qui modifierait quoi que ce soit dans sa vie et qu’il désirait simplement que Ren lui pardonne de lui avoir caché, qu’il comprenne qu’il n’était pas une mauvaise personne, qu’il voulait simplement lui retirer une épine du pied. Autrement, Kyohei n’aurait sûrement jamais révélé un tel secret, parce qu’il ne voulait pas mettre un poids sur les épaules de son ami, il ne voulait pas que ce dernier ait à son tour à garder un tel secret mais là, il n’avait pas eu le choix. Pour essayer de l’apaiser un tant soit peu, le jeune homme n’avait pas trouvé d’autres solutions.

Ses yeux vaquèrent vers son vis-à-vis alors qu’il avait gentiment envie de le taper derrière la tête. Il ne servait jamais à rien. Ren n’était pas autant inutile qu’il l’imaginait et même s’il avait aidé Harumi par son geste, sans ça, il les avait quand même sauvé tous les deux. Kyohei serait probablement mort à cette heure-ci si le garçon n’avait pas appuyé sur la gâchette. Ils ne seraient pas ensemble tous les deux à discuter doucement. Ils ne seraient plus là, tout simplement. Peut-être qu’Harumi non plus. Des hypothèses, on pouvait en imaginer des tas quant à ce qu’il serait arrivé si Ren n’avait pas tiré. Mais c’était mieux comme ça. Certes ils étaient traumatisés cependant, au moins, ils étaient vivants. Et c’était le plus important.

- Non, tu n’as pas servi à rien, Déclara-t-il calmement, Tu n’auras pas besoin de venir décorer mon salon. Tu t’en es très bien sorti tout seul. Sans le savoir peut-être mais ce n’est pas ce qui compte.

Sur ses dires, le magicien se releva lentement avant de lui adresser une fine esquisse.

- J’étais juste venu pour t’expliquer ça. J’espère sincèrement que tu iras mieux Ren et si tu as besoin, n’hésite pas d’accord ?

Qu’est-ce qu’il pouvait répliquer d’autres à part ces mots qu’il répétait sans arrêt et qui pour le coup était réellement inutile ? Kyohei le connaissait par coeur et se doutait que son ami ne lui dirait rien, que c’était à lui de venir vers lui et de lui changer les idées. Il avait la pure intention de le faire cependant, pas aujourd’hui. Il préférait lui laisser un peu de temps de digérer ce qu’il venait d’apprendre.

- Je vais te laisser maintenant. Désolé de t’avoir inquiété.

Et pour la première fois depuis l’incident, le blessé ne parvenait pas à dissimiler ses tracas qui se reflétaient au creux de ses pupilles. Encore moins cette angoisse qui le stressait plus qu’il ne tentait de l’avouer. Ce n’était pas lié à ce que tous deux avaient vécu mais parce que sincèrement, le jeune homme ne souhaitait pas le perdre pour une raison futile que la NSA. Il n’avait pas envie que Ren se tracasse à ce propos et qu’il en vienne à ne plus lui faire confiance.