Inoue Namiko » Behind the scene

J’inspire profondément… et je m’- STOP !

Foudroyée sur place, je m’arrête d’un seul coup. Que se passe-t-il ? Qu’ai-je fait ? Il me regarde. Me toise. Me songe. M’inspecte. Me scrute. Il me tue. Ma respiration s’accélère. Je panique. Je regarde autour de moi. Les autres semblent détendus malgré mon malaise. Pourquoi ? Qu’y a-t ’il ? Parle ! Parle bon sang ! Réagis ! Ou je vais devenir folle.

« Inoue… c’est cela ? » J’incline la tête en signe de respect. À vrai dire, je ressemble plus à une gamine qui vient de se faire gronder. Un petit « Oui… » à peine audible s’échappe de mes lèvres. Mais. Est-ce que quelqu’un l’a seulement entendu ?

« Pourquoi prends-tu cette grande bouffée d’air avant de t’élancer sur la scène ? » Mes yeux s’ouvrent grand… le monde semble soudain s’éloigner. J’observe. Mais j’observe à travers une fenêtre. Comme si tout était loin de moi. Je bredouille quelques mots qui atteignent le sommet de l'incompréhension. Je ne comprends même pas, moi-même, ce que je dis. « Je… je ne sais pas… je ne m’en suis pas… vr… vraim… vraiment rendu compte… c’est pour… euh… m’aider… je crois ? … À me con… con… concentrer… Monsieur ? » Mais est-ce que les gens de l’autre côté m’entendent ? Est-ce qu’ils me comprennent ? Personne ne parle. « Ai-je fauté quelque part, Monsieur ? » Là, il soupire et se masse la nuque. « Très bien tout le monde ! On va faire une pause ! »

Sans plus attendre, il s’avance vers moi. Je le vois arriver. Qu’est-ce que je fais qu’est-ce que je fais qu’est-ce que je fais ? « Ecoute… ne panique pas d’accord ? » Je ne comprends pas tout. « Désolé de t’avoir effrayé en criant. Ce que je voulais te faire comprendre c’est que… ça ne sert à rien de prendre cette grande inspiration. Je le vois très souvent, tous ces acteurs qui, avant d’entrer en scène, prennent cette grande bouffée d’air. Pourquoi ? Parce qu’ils s’apprêtent à jouer un rôle, à être quelqu’un d’autre. Aussi, parce qu’ils paniquent… de se mettre dans la peau de quelqu’un d’autre leur fait peur. Ne sois pas quelqu’un d’autre. Avant d’entrer sur scène sois toi, en entrant sur scène, sois toi, en étant sur scène sois toi, en sortant de scène sois toujours et encore toi. D’un simple geste naturel, regarde ! » Il se déplace autour de moi. « Je peux être un grand roi, à l’allure fière ! » Et puis, il change soudain radicalement de position dans un mouvement si… fluide. « Comme je peux être l’esclave ! » Et puis, il reprend une position naturelle, détendue et se rapproche de moi. « Tout est question de mouvements du corps. De l’agilité. Rien de plus. La façon dont tes chevilles et tes hanches bougent. C’est cette rotation du corps qui est le cœur du métier ! Ça n’est pas de jouer ! On ne joue pas ici… »

Et c’est ainsi que je fis la rencontre de l’improvisation théâtrale.

Mh… d’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été baignée dans l’art et ce dans toutes ses formes. Peinture, dessin, musique, arts de la scène… c’est ce qui arrive quand on naît dans une famille d’artistes. Est-ce qu’il m’arrive d’oublier qui je suis, à force de jouer des rôles ? Je vous rappelle que… je ne joue pas. Je ne joue jamais. Que je sois sur scène, dans la peau d’une prêtresse… ou dans la peau d’Inoue Namiko : je ne triche pas. Je ne suis que cette Madame Tout le monde, qui se déplace parmi cette foule… après tout. À un seul détail près : je n’ai pas mes yeux rivés sur un écran.