First Objectif : regagner en virilité... On y croit wesh wesh • |

Il la maudissait. Vraiment, elle lui faisait faire de ces choses et lui-même se demander comment il était capable de se laisser embarquer aussi facilement. Elle était la seule à avoir ce pouvoir sur lui et ça le dérangeait. Il aimerait être plus lui-même, arrêter de se comporter aussi stupidement et se montrer comme un homme face à elle. Mais alors qu’il songeait à cela, Kyohei effectuait toujours le contraire. Habituellement, il ne réfléchissait pas à ce genre de choses puis agissait naturellement. Le problème venait sûrement de là... Il pensait trop alors au final, il devenait maladroit. Elle le rendait maladroit. Qu’est-ce que Yui avait de plus que les autres pour le déstabiliser autant ? Elle était jolie, ça il l’avait compris toutefois s’il se comportait ainsi avec toutes les belles femmes qu’il croisait, il n’était pas sorti de l’auberge. Peut-être qu’elle avait un détail en plus que le jeune homme lui-même ne parvenait pas à discerner. Après tout, elle était différente. Elle était plus forte, moins sensible et courageuse. Jusqu’alors, il n’avait jamais une femme aussi combattante que sa camarade. Pas même à la NSA. Elle ferait d’ailleurs très certainement un bon agent cependant jamais cela ne lui viendrait à l’esprit de transmettre l’idée à Terazawa ou aux autres. Si lui ça ne le gênait pas de faire un tel métier, il refusait de mêler ses proches là-dedans.

Bref, mis à part ça, oui, il maudissait cette demoiselle. Depuis qu’il la connaissait, cette dernière avait pris un malin plaisir à tenter de l’embêter. Ca l’amusait. Il avait pu la déceler cette lueur de malice à chaque fois qu’elle se moquait gentiment de lui... Et elle savait comment l’avoir. Tout le temps. Installé confortablement dans un bar, le garçon effectuait son travail d’espionnage, observant un groupe non loin de lui où l’une de ses cibles se trouvaient à l’intérieur. Puis Yui lui avait envoyé un message. Elle voulait qu’il l’aide à choisir un maillot. A force Kyohei avait su discerner le faux du vrai, ou plutôt la plaisanterie là-dedans alors il avait répondu au tac au tac un « Non. » catégorique. Un non qui n’avait pas fonctionné puisque la demoiselle avait insisté, se payant sa tête à mainte et mainte reprises. Elle aimait réellement se moquer de lui et il avait toujours en tête la dernière fois où il avait dû passer la nuit chez elle. A choisir, il préférait encore éviter qu’un tel évènement se reproduise donc pour cela, il avait décidé de ne pas lâcher l’affaire et dire non. Sauf que le jeu du « qui est plus têtu que l’autre » avait commencé et bien sûr, le garçon avait fini par craquer.

Voilà la raison pour laquelle, en cet instant précis, il tournait en rond devant la cabine d’essayage tout en continuant de maudire intérieurement Yui. Elle avait bien des amies non ? Alors pourquoi demander à un homme l’aider à se décider dans ce genre d’achat ? Parce qu’il avait osé dire, en étant ivre, qu’en maillot avec elle, ça devrait y aller ? A moins qu’elle était sérieuse, qu’elle croyait réellement qu’il était un expert en la matière et qu’elle l’imaginait gay ? Il n’eut le temps de s’attarder trop sur la question que la jeune femme sortait avec le bikini qu’elle avait tout juste sélectionné. Enfin... Qu’ils avaient soit disant décidé ensemble mais il était certain qu’en l’invitant à venir, sa camarade savait déjà d’avance lequel elle comptait prendre, que c’était juste pour l’embêter. Encore et toujours.

Il n’avait pu prononcer le moindre mot. Ses yeux avaient bougé d’eux-mêmes tandis qu’il la détaillait en silence de haut en bas. Ce serait mentir de dire qu’il n’était pas chanceux de pouvoir la voir avec si peu de vêtements sur le corps toutefois il s’abstiendrait d’émettre ce genre de remarques, gardant ses propos déplacés pour lui. En particulier avec elle d’ailleurs. Aujourd’hui, plus que les autres jours, Kyohei avait pris la décision de prendre sur lui, de ne pas se laisser déstabiliser si facilement et de songer au fait qu’il s’agissait d’une femme comme une autre, qu’il faisait une simple sortie afin de faire connaissance. Après tout lorsqu’il voyait Erena, il n’était pas aussi bizarre n’est-ce pas ? Qu’il fasse pareil ! Il s’en sortait d’ailleurs plutôt bien et avait répondu d’un sourire qu’en effet, ça lui allait bien. Yui ne se moquerait pas de lui si aisément... Elle était loin de le connaître en réalité et il préférerait sincèrement qu’elle apprenne à découvrir la personne qu’il était vraiment. Donc, il faisait des tas d’efforts pour ça, comme il avait dû en faire lorsqu’il était passé du primaire au collège.

Quitte à s’être déplacé, le magicien en avait pour le coup profité et s’était acheté également un short de bain bien qu’il n’allait pas tant que ça se baigner. Ca pouvait toujours servir, c’était qu’il s’était dit afin de se convaincre. Ensuite, ils avaient marché le long de la rue même si à nouveau Kyohei ne parlait pas beaucoup. Il se contentait d’hocher la tête ou d’hausser les épaules, parfois il osait lancer une petite remarque toutefois d’un naturel calme, il préférait encore l’écouter. Si lui se mettait à bavarder, il avait souvent la désagréable impression que ça finirait par être du n’importe quoi ou ennuyeux. Parallèlement, ça l’apaisait de l’entendre même s’il n’était pas réceptif tout le temps et qu’il ne pouvait s’empêcher de souffler. Mais il l’aimait bien et il en était venu par songer qu’il ne regrettait pas de l’avoir rejoint. Peut-être qu’avec le temps, ils parviendraient à se lier d’amitié.

A nouveau, le garçon fut interrompu dans ses réflexions mais pas par Yui cette fois, non, mais par un homme qui courrait en sens inverse et qui sans faire attention avait bousculé la jeune femme. Par la force du geste cette dernière avait trébuché du trottoir si bien que même la bordure avait eu raison d’elle. Kyohei arrondit ses yeux aussitôt, de colère mais également d’inquiétude tandis qu’il se précipitait vers la demoiselle.

- Eh, ça va ? Demanda-t-il en essayant de la déplacer afin qu’elle ne soit pas en bord de route.

Le coupable s’était lui-même arrêté par réflex et il aurait sûrement mieux fallu pour lui qu’il s’enfuit. Quoi que le NSA aurait était capable de faire des recherches pour le retrouver.

- Non mais vous ne pouvez pas faire attention ! S’emporta alors ce dernier, Depuis quand on fonce ainsi dans les gens ?! Vous courrez et même pas vous regardez autour de vous ! Ca aurait pu être grave !

Oui, « ça aurait pu... » mais ça ne l’était pas, calme Kyohei, ce n’est rien. Seulement il était inutile de tenter de le résonner lorsqu’il était en colère, il avait besoin de libérer ce qu’il avait sur le coeur.

- Qu’est-ce que vous aurez fait si elle avait atterri sous une voiture ?!!

Pourquoi toujours visé l’extrême ? Elle n’était que tombée du trottoir néanmoins il avait raison, si un véhicule était arrivée au même moment, un accident serait très vite arrivé. Son interlocuteur essayait tant bien que mal de parler cependant vraisemblablement il n’osait pas... La lueur dans les pupilles de Kyohei ne lui disait rien qui vaille. Celui-ci se mit alors à soupirer avant de lui demander de déguerpir sinon il risquait de ne pas se retenir. Et frapper en public était une bien mauvaise idée.

Ses prunelles se détournèrent vers sa camarade et ses sourcils se froncèrent en la voyant en train d’essayer de se lever, avec autant dire pas mal de difficultés.

- Eh, ne bouge pas, Répliqua le magicien en retournant auprès d’elle afin de la soutenir.

L’autre était parti de toute façon. Il glissa alors une main derrière le dos de la demoiselle afin de l’aider à se redresser mais sans même lui laisser le temps de dire quoi que ce soit, il la souleva, positionnant ses doigts libres au-dessous de ses genoux. Il avait reprit sa route, sans parler néanmoins ça se lisait dans ses yeux à quel point il était agacé. En réalité, il était plus inquiet qu’énervé toutefois les deux allaient de paire donc on ne lui en voudrait pas. Il y avait un parc pas loin, ils n’auraient qu’à s’installer là en attendant, le temps de s’assurer que ce n’était réellement rien de grave et qu’un petit détour en pharmacie ou à son appartement serait suffisant. Quand il riva son regard en direction de la jeune femme, voyant qu’elle s’apprêtait à dire quelque chose, il lui répondit sévèrement d’un « Tais-toi » Il la connaissait... Il avait pu les sentir à des kilomètres ses réflexions. « Mais je peux marcher », « repose-moi », « Allez, c’est bon, je vais bien »... Pas à lui. A quoi cela servait qu’elle se tue à marcher s’il y avait quelqu’un capable de la porter ? Donc oui, qu’elle n’insiste pas parce que là, borné ou non, Kyohei était certain de gagner. Il ne démordrait pas l’affaire et ce, peu importait les menaces débiles qu’elle pourrait lui lancer. C’était elle qui s’était blessée et assurément tordue la cheville, pas lui.

Poétiquement vautrée sur son canapé, Yui voulait aller faire du shopping. Mais elle n'avait pas envie d'y aller seule. D'habitude, ça ne la dérangeait pas, mais aujourd'hui si. Parcourant le répertoire de ses contacts sur son téléphone, elle se mit à soupirer : elle ne trouvait personne pour le moment. Elle ne perdit pas espoir et continua sa recherche. Hm ? Kyohei ? Un sourire naquit sur ses lèvres.. mais quelle bonne idée ! Et quoi de mieux que de lui téléphoner pour lui proposer de l'aider à choisir son maillot de bain ?

Non. Comment ça, non ? Comment ça il osait lui dire non ? Ca voulait dire quoi ça ? Une rébellion, c'était ça ? Il voulait se rebeller. Oh non, Yui n'allait pas perdre à ce jeu-là. Exposant des arguments les uns à la suite des autres, les uns les plus farfelus aussi à la suite des autres. Elle n'avait pas non plus hésité à le taquiner ici et là, en plus de parler souvent du maillot de bain. Elle savait qu'il savait qu'elle faisait ça pour s'amuser. Le pire ? Ca avait marché. Il avait dit oui.

Une fois dans le magasin, Yui avait déjà une idée de ce qu'elle voulait acheter. Elle avait une pub pour ce joli bikini... et il lui faisait de l’œil. Méchamment de l’œil. Elle ne dit rien, regardant plusieurs maillots avec son complice du jour. Puis, arrivé devant l'objet tant désiré, ils avaient convenu qu'elle devait l'essayer. Enfin, elle avait convenu avec elle-même qu'elle devait l'essayer et Kyohei n'avait vraiment eu son mot à dire, mais presque. Il n'avait pas non plus dit non quand elle avait dit qu'il était joli.
Arrivée dans la cabine, elle prit tout son temps. Elle voulait un peu faire attendre le jeune homme. Elle enfila le bikini et se contempla quelques secondes dans le miroir. Il était parfait ! Ouvrant le rideau qui les séparait dans un grand « Tadaaaaaam ~ », elle ne pouvait s'empêcher de sourire. Encore un peu, et elle aurait sauté partout tellement elle était contente. Mais ce n'était pas son genre, loin de là, alors elle se contentait de sourire, tournant un peu sur elle-même.
Et voilà, son choix était fait, elle allait l'acheter. En plus, Kyohei trouvait aussi qu'il lui allait bien. Tiens, d'ailleurs, elle devrait proposer une sortie à la plage, ou à la piscine au moins un jour. Elle était plutôt tentée par faire une course contre son camarade, ça pouvait être drôle.

Ils quittèrent le magasin quelques minutes plus tard. Ils marchaient tranquillement, Yui parlant de tout et de rien, obtenant que quelques réponses de son vis-à-vis, mais des réponses quand même ; en réalité ça l'encourageait à continuer. Alors elle parlait. Et parlait. Elle commençait même à lui parler de ses animaux, ses chers animaux, quand elle fut propulsé au bas du trottoir.
Clignant des yeux plusieurs fois, elle n'avait même pas pu répondre quand Kyohei lui demanda si elle allait bien. Est-ce qu'elle allait bien ? Elle regarda l'endroit où elle se trouvait quelques secondes plus tôt... wow, quel bond ! Il lui était rentré dedans avec une moissonneuse batteuse ou quoi !?
Puis une douleur sourde la fit grimacer violemment. Apparemment sa cheville n'avait pas trop aimé la chute. Encore moins la chute en talons. Voilà, les talons c'était le mal. Et les gens qui passaient en courant sans faire attention, aussi. Donc, évidemment, les deux combinés c'était un peu comme passer un pacte avec le Diable. On y laissait un peu de soi... Baissant le regard sur sa cheville qui la faisait souffrir, elle releva bien vite la tête en entendant Kyohei. Elle le regarda avec des yeux ronds comme une soucoupe. Elle ne l'avait jamais vu s'énerver comme ça... Même elle, même cette belle et courageuse Yui n'osait même pas broncher de peur que... De peur que quoi ? Enfin bref, elle osait tout juste respirer, la main sur sa cheville alors que ses yeux ne quittaient pas le visage crispé de colère de son ami.
A cet instant, elle n'entendait plus rien. Même sa douleur semblait avoir eu peur de Kyohei sur le coup. Elle ne sentait presque plus rien. Elle allait se faire une note pour elle-même : éviter de pousser le garçon à bout. Pas qu'elle avait peur, mais quand même... Valait mieux éviter.

La surprise passée, Yui tenta du mieux qu'elle le pouvait se lever. Et malgré le « Eh, ne bouge pas » de Kyohei, elle n'en entendait rien. Elle pouvait marcher. Tout allait bien. Comme sur des roulettes. C'était rien ça. Elle avait presque pas eu pire. Elle avait quoi d'ailleurs sa cheville ? Elle pria intérieurement qu'elle ne soit pas cassée. Non, tout sauf ça. Et son escalade ? Et sa natation ? Et son jogging ? Comment elle allait faire tout ça si elle devait traîner sa cheville ? Non. Ce n'était pas possible. Elle n'avait rien, voilà, pouf, guérie comme par magie !

Tiens. Pourquoi elle flottait ? Deux minutes. Pourquoi est-ce qu'elle flottait ? Elle avait encore du mal à poser le pied par terre il y a quelques secondes, et maintenant elle volait. C'était quoi le délire ?
Elle tourna la tête, quelque peu blasée, vers Kyohei. Il était gentil de la porter, ça soulageait sa cheville. Mais la porter comme une princesse ? Vraiment !? Il voulait qu'elle lui fasse une crise en pleine rue ou quoi ? Grimaçant, elle détourna un instant son visage pour observer ce qu'il se passait autour avant de reposer son regard sur son camarade, prête à lui dire qu'elle allait bien, qu'elle pouvait marcher,  même courir, qu'elle n'avait pas besoin d'être portée.. Sauf que le « Tais-toi » dit plutôt sévèrement lui coupa la parole. Alors comme ça, il lui disait de se taire maintenant !?

Elle remarquait bien qu'il se dirigeait vers un banc. Alors, pendant tout le trajet, elle n'avait rien dit. Elle n'avait fait qu'observer les alentours. D'abord il la portait comme une princesse, merci mais non merci, et ensuite il osait lui dire de se taire. Il avait pas trop pris en assurance dernièrement le petit ? Bon, d'accord, c'était pour son bien...
Arrivés près d'un banc, il la déposa lentement sur celui-ci. Elle murmura un bref « Merci » avant de se mettre à fixer sa cheville.

« Tu crois que c'est cassé ? », demanda-t-elle en regardant Kyohei, « C'est pas cassé hein. Je dois courir demain matin. Et nager mardi. Et escalader avec mes frères dimanche »

Elle l'implorait du regard, même si elle savait que ça ne changerait rien sur le verdict final, elle tentait. Elle ne le savait peut-être mais il avait peut-être des pouvoirs et pouvait la guérir.
Désespérée, elle laissa sa tête tomber en arrière, laissant ses yeux se poser sur l'arbre non loin d'eux. Elle soupira. Encore. Et encore. Elle se mit même à grogner légèrement. Quelle classe cette Princesse, n'est-ce pas ?

« C'est le comble pour une sportive de se fouler ou casser ou je sais pas trop la cheville juste en se faisant bousculer »

Elle se redressa brusquement, pointant son doigt vers Kyohei.

« N'empêche que si je le retrouve celui-là, je lui fais sa fête ! », lâcha-t-elle en soufflant bruyamment et en resserrant le point.

Oui, elle avait envie de lui taper la tête contre un tronc d'arbre. Mais non, ce n'était pas bien. La violence n'aidait pas à résoudre les soucis. En l’occurrence, ça ne l'aurait pas aidé à faire guérir sa cheville.

« D'ailleurs... c'est la première fois que je te vois énervé. J'aime bien. Enfin pas te voir énervé hein, mais te voir t'affirmer comme ça »

Elle lui sourit doucement avant de laisser tomber son regard sur sa cheville. Pourquoi t'avais toujours pas guéri toi !!?
Recroisant à nouveau le regard de Kyohei, elle l'implora une seconde fois, faisant même trembler sa lèvre inférieure, avant de lâcher un « Fais un bisou magique, ça ira peut-être mieux »

Il faisait de son mieux pour se maîtriser, pour ne pas extérioriser toute cette rage qui fulminait en lui. Si Yui n’avait pas été blessé, il aurait certainement couru après cet homme, il lui aurait remis ses idées en sa place et aurait trouvé un moyen pour le dénoncer à la NSA. C’était extrême, ce pauvre individu ne méritait sûrement pas tout cela néanmoins sous la colère, il était impossible de résonner Kyohei. Il lui en voulait parce que ça aurait pu être grave, qu’il n’aurait pas su quoi faire si sa camarade s’était retrouvée sous les roues d’une voiture. Là, dans le pire des cas, elle avait une entorse seulement était-ce une bonne raison pour tout pardonner si facilement ? Non. Alors il avait marché avec la jeune femme dans ses bras, en silence, comme si le moindre mot qui s’échapperait de sa bouche serait des choses qu’il ne penserait pas. Il devait avant tout se calmer et s’éloigner, s’installer dans le parc près d’eux lui avait paru être une excellente idée pour ça. Dans la plus grande des délicatesses, il la déposa sur un banc tandis que lui restait debout à l’observer, ne sachant quoi lui déclarer en réalité. Il avait envie de s’excuser toutefois il n’en fit rien parce qu’il n’aurait même pas été capable d’expliquer pourquoi il s’excusait. Ce n’était pas de sa faute si Yui s’était faite bousculée cependant malgré lui, inconsciemment il aurait préféré pouvoir éviter ça. Sauf que malheureusement il n’était pas un super héros, il ne pouvait pas préméditer l’avenir ni les actes d’autrui, il ne pouvait pas non plus bouger avec rapidité donc ce n’était pas parce qu’il aurait voulu interagir plus tôt que ça aurait changé quelque chose.

Ses yeux avaient ensuite vaqué ailleurs dans le parc, contemplant les alentours sans prononcer la moindre parole tandis qu’il soufflait discrètement. La jeune femme le sortit toutefois de ses rêveries avec ses bêtises, si bien que Kyohei se vit obliger de la regarder dans les yeux avant de lever les siens vers le ciel. Elle était incroyable, incorrigible également. Elle n’était pas encore rétablie qu’elle songeait déjà à faire du sport et si elle continuait d’insister, il risquait réellement de se fâcher contre elle en retour. Il était hors de question qu’elle pratique ne serait-ce qu’une seule activité pendant quelques jours. Cela ne ferait qu’aggraver sa santé et ce n’était pas la solution. Yui devait être patiente voilà tout et même si ce n’était peut-être pas son fort, elle allait devoir faire avec car lui ne la laisserait pas agir à sa guise.

Pourtant, en l’écoutant, le magicien ne pouvait s’empêcher de sourire discrètement. Elle aussi, elle l’amusait. Qu’est-ce qu’elle espérait pouvoir faire ? C’était trop tard maintenant pour riposter de toute manière et il fallait qu’elle arrête de vouloir à tout prix jouer aux plus fortes. Le but dans la vie n’était pas de savoir qui est mieux que qui mais d’être soi-même non ? Elle était blessée donc lui souhaiterait qu’elle cesse de faire comme si tout allait bien. Si elle était inquiète, elle pouvait le dire aussi, il était encore dans la capacité de comprendre et il n’avait nullement l’intention de se moquer. Au contraire, il serait fier de voir qu’elle assumait ses faiblesses. Depuis leur rencontre, il ne l’avait jamais entendu se plaindre et elle essayait toujours à tout prix de se débrouiller toute seule. Il admirait cette personnalité là, rares étaient les femmes qui se battaient autant et ne demandait pas de l’aide pour un oui ou pour un non toutefois Yui était différente. Néanmoins, en plus d’une qualité, ce trait de caractère ne peut-il pas être également considéré comme un défaut ? De ce fait, la jeune femme ne comptait pas sur les autres et ils se ressemblaient un peu sur ce point ci. Sauf qu’il y a des moments où il faut oser prendre épaule sur nos proches, arrêter de dire que tout va bien si tout va mal et ne pas se gêner à demander un peu d’aide. Il ne s’agissait que d’une cheville foulée, ce n’était rien de dramatique toutefois ça ne servait à rien qu’elle joue au dure avec lui, ça ne modifierait pas les circonstances. Kyohei savait que non ça n’allait pas, qu’elle peinait à marcher et que ça la tourmenter sûrement de ne pas pouvoir bouger correctement pendant quelques jours mais la demoiselle devait s’habituer, prendre conscience des soucis que ça pourrait engendrer plus tard.

Il voulut lui en parler, rétorquer ce qu’il avait sur le cœur cependant il ferma sa bouche aussitôt en entendant la suite des mots de sa camarade. Pendant l’espace d’un instant, il s’était senti bête et quelque peu penaud. Ce n’était pourtant pas la première fois qu’il s’affirmait de la sorte mais maintenant qu’elle lui faisait remarquer, avec elle, oui. Elle serait sûrement étonnée si elle le croisait ailleurs ou si elle le voyait travailler à la NSA, elle ne le reconnaîtrait pas. Mais qu’elle ne se voile pas la face, si elle pensait que ça aussi c’était exceptionnel, elle se trompait. Le magicien avait bel et bien l’intention de prendre sur lui et de continuer à être lui-même avec elle. Il en avait assez de se dire que de le voir fuir de la sorte, la jeune femme ne devait pas le considérer comme un vrai homme. Et c’était sa fierté qui en prenait un sacré coup. Voilà pourquoi il avait commencé à changer. Peu à peu cette réflexion l’avait conduit à réfléchir sérieusement et il avait songé qu’agir avec elle comme il le faisait était complètement stupide. Elle était un être-humain comme tout le monde, elle était gentille et même si elle pouvait être impressionnante pour une femme parfois, lui aussi était capable de l’être et lui tenir tête. Il lui avait juste fallu un certain temps pour s’apercevoir de tout ça… Un déclic. Comme par le passé…

Elle voulait un bisou magique ? C’était mal le connaître de lui demander une telle chose, évidemment qu’il ne le ferait pas. Ca, la jeune femme devait le savoir toutefois elle n’avait pas du s’attendre au reste. Plutôt qu’un vulgaire baiser au niveau de la blessure, Kyohei s’était approchée d’elle afin d’élancer doucement ses doigts en direction de son front, lui donnant une légère pichenette.

- Arrête tes conneries, Lui dit-il sévèrement, Je ne plaisante vraiment pas. Et que tu n’essaies même pas te faire du sport sinon je viens chez toi pour te foutre un coup de pied aux fesses ! Ca ne va pas se soigner comme ça et encore moins si tu forces. Donc repos. Ca ne doit pas être grave en soit mais pendant quelques jours, il vaut mieux que tu ne forces pas.

Il n’était pas médecin toutefois si c’était cassé, Yui ne supporterait pas si aisément la douleur, ça se lirait sur son visage à quel point elle a mal.

- Je vais appeler un taxi et on va passer à la maison, je dois avoir ce qu’il faut.

Ou plutôt, ainsi, il pourrait toujours avoir un œil sur elle afin de la surveiller. Il ne lui laissa pas le temps de riposter qu’il avait déjà pris son téléphone afin de contacter quelqu’un. En attendant, il avait fini par s’installer à côté d’elle, soufflant discrètement pendant que son regard était rivé vers le ciel. Un silence était né durant plusieurs minutes, aucun des deux ne semblaient parler toutefois ce n’était pas désagréable. Il y avait des moments comme cela où parfois le silence était bien plus appréciable que tout le reste et pouvait signifier beaucoup. S’ils étaient capables de se supporter même dans un calme inouïe alors ils étaient faits pour s’entendre.

- Tu sais, quand j’étais petit, j’étais un peu comme ça, Déclara subitement le garçon en rompant ce blanc qui s’est installé, Voire pire. Je ne parlais presque pas et me liais à personne. C’est au collège que j’ai commencé à changer. Mais avec toi, écoute, j’avais toujours cette fichue impression d’avoir fait un sacré retour en arrière, de ne pas être capable de me sociabiliser tout ça, sans que je ne sache pourquoi seulement ça va maintenant.

Il lui fallait juste du temps, rien de plus. Peut-être qu’en réalité, comme à cette époque, il avait peur des répercussions. Il avait peur qu’elle le rejette, qu’elle se moque et qu’elle ne l’apprécie pas à sa juste valeur. Alors que c’était l’unique chose qu’il désirait… Et il avait pris peur, bêtement. Seulement il avait fini par se rendre compte que cette attitude était stupide, que Yui était quelqu’un de bien et que dans le cas contraire, il n’aurait qu’à se relever comme il l’avait toujours fait. Il lui sourit sincèrement, quelque peu mal à l’aise tout de même et la coupa avant même qu’elle ne puisse lui répondre.

- Le taxi est là.

Sur ses mots, le magicien avait désigné le véhicule qui venait d’arriver. Sauvé par le gong, dirait-on. Il aurait été mal de devoir poursuivre cette discussion même s’il se doutait qu’à un moment ou un autre, il serait contraint d’y revenir dessus. C’était lui qui avait commencé après tout.

Regardant d'abord Kyohei la bouche entrouverte en un petit « o », elle se mit à souffler bruyamment quand ses paroles cessèrent. Néanmoins, un petit rictus amusé souleva lentement le coin de ses lèvres. Elle le regarda fixement avant de lâcher un « Oui papaaaaaa » tout en riant.
Enfin, elle aurait peut-être dû dire « Oui maman ». Ce n'était pas son père qui aurait dit tout ça. Son paternel lui aurait très certainement dit qu'elle pouvait marcher seule, et que si elle était si forte que ça, elle n'aurait pas besoin d'être porté. Il n'était pas méchant, mais avait toujours du mal à voir la femme contre un être débrouillard et courageux. Ca énervait toujours Yui, d'ailleurs. Elle pensait qu'avec les années, il aurait au moins accepté que sa fille soit plus forte que les autres, mais non. Il voyait toujours les choses de la même façon, forçant sans vraiment forcer Yui à se dépasser elle-même.
C'était pour cette raison qu'elle n'avait pas encore téléphoné à ses frères pour leur dire qu'elle annulait la sortie de dimanche. Elle pouvait aller mieux d'ici. Et si ce n'était pas le cas, tant pis, elle partirait quand même avec eux... et les attendrait en bas. Elle n'était pas totalement inconsciente non plus, et elle savait qu'elle pouvait compter sur ses frères, ils ne diraient rien à personne.

Quand Kyohei mentionna le taxi, elle ne broncha pas. De toute manière, que pouvait-elle bien faire ? Elle pourrait s'enfuir. Partir en courant, les cheveux au vent. Elle était sûre d'elle, elle savait qu'elle était rapide... quand sa cheville voulait bien être coopérative. Là elle savait qu'elle n'arriverait pas à faire deux pas sans que le garçon soit sur son dos en train de rouspéter. Soupirant faiblement, elle se mit à fixer le sol.
Puis la voix du jeune homme la tira de ses songes. Elle releva doucement le regard vers lui, et ne le quitta pas des yeux durant tout son petit discours. C'était la première fois qu'il parlait aussi ouvertement de lui.
Pourquoi avait-il seulement cette impression avec elle ? Avait-elle fait ou dit quelque chose qui aurait pu l'effrayer ? A son souvenir, non. Mais peut-être que sa mémoire lui jouait des tours. Enfin, ce n'était pas important. Après tout, Kyohei venait de dire que ça allait maintenant non ? Elle n'avait donc plus de soucis à se faire.
Le sourire aux lèvres, elle voulut lui dire quelque chose, mais n'eut pas le temps : le taxi était déjà là. Il s'était téléporté pour venir aussi vite ou quoi !?

Se levant avec l'aide de Kyohei, elle prit appui sur son épaule et ils allèrent ensemble vers le véhicule. Elle lui avait bien fait comprendre que non, elle ne voulait pas se faire porter comme une princesse. Une fois c'était déjà bien assez. Fallait pas non plus abuser, elle avait aussi une fierté, eh oh. Petite, mais fierté quand même.

Installée confortablement sur le siège du taxi, elle laissa Kyohei dire où ils allaient alors que sa tête allait s'appuyer contre la vitre. Soupirant tout en regardant le paysage qui défilait devant ses yeux, elle faillit sauter de la voiture quand elle aperçut quelqu'un en train de faire un jogging. Elle aussi voulait aller courir. C'était trop bien, de courir. Surtout avec Sou, c'était amusant... quand il avait envie. Ce chien était un chien de canapé, en contradiction totale avec le tempérament de la jeune femme.
Quand l'homme disparut de son champ de vision, un soupir presque désespéré franchit la barrière de ses nouvelles. C'était vraiment trop injuste ! Abaissant son regard vers sa cheville, elle fit claquer sa langue contre son palet avant de se retourner vers Kyohei.

« Tu crois que si je bouge pas aujourd'hui et demain, ça ira mieux après-demain ? », demanda-t-elle sans attendre de réponses, « Non mais, sérieusement, je peux pas rester plusieurs jours sans bouger. Tu me vois plusieurs jours sans bouger ? Non. Voilà. Moi non plus »

C'était agréable de voir qu'ils étaient tous les deux d'accord. Comment ça, elle lui avait pas tout à fait demandé son avis !?
Elle croisa les bras sur sa poitrine, laissant son regard fixer l'arrière du crâne du chauffeur. Elle se pinça doucement les lèvres avant de se pencher vers l'oreille de Kyohei.

« Son crâne dégarni me rappelle mon père... »

Elle rit discrètement avant de se remettre droite. Voilà, comme ça, le garçon savait que le père de Yui perdait ses cheveux. Ca devait lui faire une belle jambe...
D'ailleurs, Yui ne savait même pas pourquoi ça la faisait rire. Peut-être qu'elle tentait de se concentrer sur autre chose parce que sa cheville lui faisait mal ?

Sortant du taxi, elle lâcha un petit « Enfin ». C'était pas dans son habitude de se balader en ville dans un taxi. Elle préférait marcher, libre comme l'air.
Prenant toujours appui sur le jeune homme, elle étira seulement l'un de ses bras avant de déclarer « On prend les escaliers » d'un air un peu trop stricte. Elle lui lança un regard autoritaire : elle ne laissait aucunement place à la discussion. C'était les escaliers, ou elle attendait en-bas.
Déjà qu'elle avait une cheville blessée, qu'on lui conseillait de ne plus faire de sport pendant un moment, on n'allait pas lui rajouter un ascenseur à supporter. Pas aujourd'hui !
Et puis, les escaliers, c'était bon pour la santé.

Des claques. Cette jeune femme mériterait des claques ne serait-ce que pour qu’on lui remette les idées en place. N’avait-elle pas compris ce que signifiait le mot « repos » ? Parce que si ce n’était pas le cas, Kyohei avait bien la ferme intention de le lui faire entrer dans sa petite cervelle à celle-là. Ô, il ne disait pas qu’elle n’était pas intelligente toutefois dans ce genre de moment, elle jouait aux idiotes et lui, ça l’agaçait. La santé était importante, il refusait de plaisanter là-dessus. Certes, il ne s’agissait que d’une blessure à la cheville cependant qu’elle ne se voile pas la face, il les captait ses grimaces. Elle avait mal alors pourquoi continuait-elle à faire la forte et la fière ? Réellement, ça l’énervait. Qu’elle peine à tenir en place, ça, le garçon acceptait de le comprendre parce que Yui était une pile électrique à elle toute seule. Une bouffée d’air frais qui soufflait un peu trop fort parfois. Surtout lorsqu’on recherche du calme et de la sérénité toutefois elle avait ce don particulier de répandre la bonne humeur autour d’elle bien que sa personnalité avait déstabilisé le magicien un nombre incalculable de fois. En bref, elle avait toujours été ce genre d’individu à bouger de partout, à être attiré par n’importe quel sport cependant il fallait se dire que se reposer pendant quelques jours faisait également partie de la pratique. De toute façon, elle n’avait pas le choix. Et si ça s’aggravait ? Elle n’y songeait pas à cela néanmoins si ça arrivait, il ne serait plus question de jours mais de mois, voire même des années. Ca serait pire alors qu’elle réfléchisse un peu avant de faire la maligne.

Voilà pourquoi le garçon n’avait rien relevé, la laissant se faire les questions réponses dans le taxi tandis que lui soupirait, levant ses yeux en l’air, blasé. Yui l’avait pourtant vu non ? Qu’il s’était inquiet et qu’il avait encore les nerfs à vifs à cause de cet abruti qui n’avait pas regardé devant lui, qui aurait vraiment pu la blesser. Par le passé, il n’avait jamais eu de grave problème de santé si ce n’était que lorsqu’il était malade ou se casser quelque chose, il était seul à se gérer. Il n’avait ni papa ni maman pour l’emmener chez le médecin. Il n’avait pas de raison particulière quant ô pourquoi il se tracassait autant pour au bout du compte pas grand chose. C’était comme ça, un point c’est tout. Dans la vie il y a souvent des choses qu’on ne comprend pas et qu’il est préférable de ne pas chercher à comprendre. Juste qu’il aimerait que pour une fois sa camarade l’écoute et arrête ses bêtises comme de parler du crâne de son père au lieu de choses plus importantes.

Et afin d’en rajouter une couche, une fois dans son immeuble, elle avait jugé bon de décréter prendre les escaliers. Kyohei était certain d’avoir été assez clair, de lui avoir fait comprendre qu’aujourd’hui elle n’avait pas son mot à dire et que c’était lui qui choisissait quoi faire. Être raisonnable, Yui ne semblait pas connaître non plus. Alors il avait soupiré encore. Il était hors de question qu’ils prennent les escaliers, pas avec une cheville tordu... A moins que son but était de se tordre l’autre ? Elle lui demandait si ça irait mieux d’ici deux trois jour hors paradoxalement, elle avait envie de monter à pied. Qu’est-ce qu’elle ferait s’il habitait au dixième étage ? Non mais sérieusement, elle réfléchissait avant de parler ? Le garçon n’avait rien dit, se contentant de noyer ses yeux dans les siens et au vue de la lueur qui brillait dans le regard de sa vis-à-vis, il pouvait voir ô combien elle paraissait déterminé. Hors, lui aussi. La demoiselle n’avait pas idée à quel point.

- D’accord, Céda alors Kyohei.

Quoi ? Sérieusement ? « D’accord » ? C’était à se demander qui était le plus sérieux dans cette histoire. Lui qui pensait le contraire il y a quelques secondes et qui se résignait ou elle qui était prête à grimper des marches avec un pied blessé. Vraisemblablement, la victoire allait tout droit au Monsieur. En effet, il n’avait nullement laissé le temps à sa camarade de parler ou d’agir que glissant sa main le long de sa taille, il l’avait porté tel un sac à patate. Et elle pouvait bien se plaindre si elle en avait envie, c’était soit ça soit rien. Encore elle était chanceuse, voilà que maintenant il faisait du sport pour deux. Heureusement que son appartement se trouvait au deuxième étage... Bon, sinon, il n’aurait pas cherché à discuter et ils auraient pris l’ascenseur.

- Je te déconseille de bouger, Déclara le jeune homme en montant une à une les marches, Ca serait bête qu’on tombe et qu’en plus de me blesser moi, tu te pètes l’autre pied. Je crois que tu as du mal avec le mot « repos ». Ce n’est pas facile mais dit toi que ce n’est que quelques jours alors arrête de te plaindre trente secondes et écoute ce qu’on te dit à la fin. Sinon, je vais vraiment finir par m’énerver.

Malgré la dureté de ses mots, sa voix était des plus calmes, mélangé entre deux souffles à cause de la force qu’il lui fallait à la fois pour la tenir et à la fois pour monter les escaliers. Toutefois, même si son ton restait posé, on pouvait ressentir la sévérité et la légère froideur cachée derrière. Kyohei était sérieux dans ses paroles, il pouvait sincèrement se mettre en colère. Elle ne connaissait pas cet homme là et elle allait devoir s’y habituer parce qu’il était plus que borné, quand il avait quelque chose en tête, il n’abandonnait pas si facilement.

Quelques minutes plus tard, après ce gros effort, ils arrivèrent enfin à l’appartement cependant le magicien déposa la jeune femme que lorsqu’ils furent à l’intérieur et l’installa sur son canapé, lui demandant d’attendre. La décoration de son logement était le total opposé de celui de Yui. Quand il l’avait observé, ce matin là, il s’était dit que ça la décrivait bien, c’était chaleureux, agréable et on s’y sentait bien. Probablement que son appartement à lui reflétait également sa personnalité. Il y avait peu de cadres et de meubles, c’était assez froid. Il ne disposait que du strict minimum et tout était parfaitement bien rangé, tout à sa place. Pour ce qui était des photographies, il n’en avait aucune. Ca faisait vide. Un peu comme un appartement dans lequel on vient tout juste d’emménager. Mais à lui, ça lui convenait très bien.

Il n’avait pas grand chose toutefois en farfouillant un peu dans les placards il avait pu trouver ne serait-ce que le stricte nécessaire pour ce genre de blessure. Une bande, de la pommade et quelques glaçons avant pour soulager la douleur. Puis comme il était gentil, le garçon lui avait même ramené de quoi s’hydrater. S’asseyant sur un tabouret, il avait tiré une chaise sur lequel, il avait gentiment demandé à Yui de poser son pied. Ca avait l’air enflé mais si elle l’écoutait, d’ici quelques jours ça devrait s’arranger. Certes, il n’était pas médecin, il n’avait pas fait de grandes études non plus mais les blessures de guerre, ça le connaissait. Presque naturellement, concentré, il avait commencé à s’en occuper et à la soigner avec le plus de délicatesse possible. Ca le surprenait lui-même... Habituellement, il ne faisait pas autant pour quelqu’un. En particulier quand celui-ci était assez en forme pour le faire seul. Ca n’avait pas d’importance après tout.

- Tu sais, commença le magicien sans river ses yeux vers sa vis-à-vis enroulant la bande autour de sa cheville, C’est bien de vouloir faire la forte et d’être courageuse. Mais tu as le droit d’avoir des faiblesses aussi. Et les reconnaître, compter plus sur les autres, ça fait aussi partie du courage. On a tous notre fierté mais parfois, il faut savoir la mettre de côté. Maintenant, je veux que tu te reposes et que tu arrêtes de faire l’idiote. Tu as la télécommande là, tu n’as qu’à regarder la télévision si tu veux. Je vais faire à manger.

Tient, encore ? Mais c’est qu’elle était vraiment chanceuse celle-là. Sauf que là, dans les deux cas, il aurait été forcé de préparer quelque chose s’il ne souhaitait pas mourir de faim. En général, il favorisait les plats simples et pas ennuyant à faire.

- Tu veux quelque chose en particulier ?

Par politesse, Kyohei avait préféré lui poser la question hors il espérait malgré tout que sa camarade ne lui en demande pas trop. Il n’était pas motivé à jouer aux grands cuisiniers ce soir. Enfin, qu’il ne raconte pas n’importe quoi, il n’était jamais motivé quand il s’agissait de cuisine.

Après le style princesse, elle passait par le style sac à papates. Décidément, elle avait tout vu avec lui aujourd'hui. Elle avait cru pendant une micro-seconde qu'elle allait pouvoir monter les escaliers tranquillement, mais non. La voilà en train de pendre comme un cochon mort. C'était pas très poétique, et même si elle avait voulu râler au début, elle préférait presque cette manière d'être portée que la manière princesse. Ca lui donnait un côté plus... Enfin ça lui donnait un petit quelque chose en plus quelque part.
Et puis non, elle comprenait très bien le mot « repos » cher Monsieur. Pour répondre au jeune homme, elle n'avait fait que soupirer. Elle n'avait pas envie de partir dans un débat la tête à l'envers. Et, aussi étrangement que cela puisse paraître, elle tenait à sa vie et n'avait pas envie d'être jetée au sol comme une vulgaire poupée de chiffon. Surtout que sa cheville allait mal et que sa présence sur Terre était légèrement entre les mains de Kyohei, alors, si elle pouvait éviter de l'énerver en montant, c'était une bonne chose.

Elle ne dit plus rien jusqu'à arrivée sur le canapé. Et là encore, elle ne prononça pas un moment. Le garçon quitta la pièce et Yui en profita pour détailler son salon. Il n'y avait pas grand chose ou c'était une impression ? Il venait peut-être d'emménager, mais elle s'était attendue à voir quelques photos accrochées au mur. Ca faisait vide, comme ça, un peu triste et froid aussi. Lorsqu'il revint, elle ne fit cependant aucun commentaire. Ils n'étaient pas là pour parler art-déco de toute façon.
Posant le pied sur la chaise comme il le lui avait demandé, elle se mit à observer le moindre ses mouvements. Elle ouvrit la bouche, pour le remercier, parce qu'il avait tout de même fait beaucoup d'efforts aujourd'hui. Mais les paroles de Kyohei la coupèrent. Elle cligna des yeux plusieurs fois, comme incertaine d'avoir bien entendu ce qu'elle venait d'entendre.
Pourquoi elle avait l'impression de recevoir une leçon, là ? Combien de fois avait-elle entendu qu'il était bon d'avouer ses faiblesses ? Elle avait arrêté de compter. Oh bien sûr, dans les films, ça rendait tout suite mieux quand le héros que l'on pensait sans cœur se livre sur son passé désastreux et commence à pleurer.
Elle avait bien envie de lui dire qu'il ne la connaissait pas assez pour pouvoir lui dire ça. Après tout, ce n'était pas menti. Il ne voyait que la partie visible de l'iceberg, il ne savait pas pourquoi Yui se comportait de cette façon.
Oui, elle avait mal. Oui, elle savait ce qu'elle risquait si elle forçait sa cheville. Pourquoi qui la prenait-il ? Une idiote inconsciente !? Ca la blessait, au fond, qu'il puisse ne serait-ce que penser cela une seconde.
Serrant doucement le poing sur sa cuisse, elle se retint de lui répondre qu'elle savait ce qu'elle risquait, qu'elle était assez grande. N'avait-il pas remarqué que si elle parlait de ne plus faire de sport, c'était parce que ça l'inquiétait ? Parce qu'elle n'avait pas envie de paraître faible face aux autres ? Et pourquoi il lui parlait de fierté, au juste ?
Ce n'était pas une question de fierté pour elle. C'était comme ça qu'elle avait grandi. Elle avait toujours vécu ainsi, faisant semblant de ne pas avoir mal, parlant de tout et de rien pour tenter d'oublier la douleur, dire qu'elle ne voulait pas s'arrêter de bouger pour montrer que même avec une blessure, elle n'abandonnerait pas.

Elle ne voulait pas se montrer faible face aux autres... surtout pour ne pas s'avouer qu'elle l'était, en réalité.

Toisant la télécommande du regard, elle ne bougea même pas le petit doigt pour l'atteindre. Elle n'avait pas spécialement envie de regarder la télé maintenant.
Relevant le regard vers le jeune homme, elle haussa simplement les épaules à sa question, avant de souffler qu'elle n'avait pas beaucoup faim donc qu'un petit plat lui suffirait.

Elle patienta qu'il soit dans la cuisine pour laisser tomber sa tête en arrière. Au final, elle en venait à se demander comment Kyohei la voyait. Sans doute comme une petite écervelée inconsciente des dangers de la vie et de la mort et du ciel et des oiseaux. Beaucoup de monde devait la voir comme ça, après tout. A cette pensée, elle haussa une nouvelle fois les épaules. Pour elle, tout semblait évident. Pas qu'elle était une inconsciente sans cervelle, mais c'était sa manière de vivre. Et personne n'allait lui changer ses habitudes. Plus maintenant.
Si Kyohei pensait pouvoir le faire, il aurait dû intervenir beaucoup plus tôt dans sa vie.

Elle resta ainsi durant quelques minutes, plongée dans le silence de la pièce, les yeux rivés au plafond. Même celui-là lui paraissait triste et froid. Ca devait être l'ambiance principal de son appartement. Spéciale comme ambiance, mais pourquoi pas après tout. C'était un style comme un autre.

Sa tête restait dans la même position quand Kyohei entra dans la pièce avec les plats en main. Seuls ses yeux se tournèrent vers lui.

« Je t'aurais bien aidé à rapporter le manger, mais... repos », dit-elle simplement.

Un léger sourire vint tout de même éclairer son visage alors qu'elle redressait lentement la tête. Elle prit l'assiette en main tout en le remerciant avant de commencer à manger. En silence.
C'était sans doute l'une des premières fois qu'elle n'avait rien à dire. Alors elle continuait de manger, bouchée par bouchée, lentement, se prenant le temps de mâcher et de savourer les goûts qui passaient dans sa bouche.

Une fois le plat finit, elle tendit l'assiette vide vers le jeune homme avant d'étirer ses bras.

« C'était très bon encore une fois, merci », lui souffla-t-elle doucement avant de sourire, un peu plus que précédemment, « Tu n'as jamais pensé à devenir cuisinier ? Ca pourrait bien t'aller, la toque »

Elle se mit à rire légèrement avant d'abaisser son regard sur sa cheville. Elle avait encore tellement de choses à dire là-dessus, à quel point ça l'attristait de ne plus pouvoir bouger durant quelques jours, que c'était pire que tout pour elle.... mais aucun mot ne sortit. Elle se pinça simplement les lèvres durant de longues secondes.

« Au fait », lâcha-t-elle en tournant son visage vers lui, « Tu avais commencé à parler de toi plus jeune, et tout ça. Pourquoi tu ne parlais pas, à l'époque ? Tu étais trop timide ? »

Elle était curieuse, oui.

« Et pourquoi tu as dit que tu avais l'impression de revenir en arrière avec moi ? J'ai déjà dit ou fait quelque chose de mal pour que tu te braques ? »

Elle ne pouvait pas bouger, eh bien, elle allait parler, faire sa curieuse et poser des questions. Si Kyohei voulait qu'elle arrête de faire son « idiote » comme il le disait si bien, il allait devoir se délier la langue. Il semblait bien parti. Du moins pour lui faire la leçon, les mots sortaient plus vite que la musique.
Mais elle voulait toujours en savoir plus sur lui. Parce qu'à vrai dire, elle ne savait pas grand chose. Elle voulait connaître un bout de sa vie, pour le comprendre.

Qu’est-ce qu’il en avait affaire lui que la toque pourrait bien lui aller ? Il détestait faire la cuisine. C’était d’un ennui et une perte de temps. Il n’est pas un grand gourmand en plus de ça donc à ses yeux, c’était inutile. S’il pouvait éviter de manger ça serait bien cependant il mourrait donc malheureusement il n’avait pas trop le choix. Dans tous les cas Yui ne pouvait pas le savoir parce que, par fierté, il ne lui avait jamais dit qu’il n’aimait pas faire ça. Certains étaient capables de rester des heures aux fourneaux, ça lui arrivait parfois de prendre son temps néanmoins il le faisait par dépit, non pas parce qu’il en avait envie. En guise de réponse, Kyohei s’était alors contenté d’hausser simplement les épaules, ne préférant pas s’éterniser sur le sujet. Il lui avait sourit également, disant qu’elle n’avait pas à le remercier tandis qu’installé à côté d’elle, il mangeait son repas en silence. Au bout du compte, il avait conçu quelque chose d’assez simple, sa camarade lui déclarant qu’elle n’avait pas très faim de toute manière. Il n’avait pas cherché plus loin, rassuré de ne pas avoir à trop se prendre la tête, ne songeant pas une seule seconde que sa remarque aurait pu vexer la jeune femme. Loin de lui d’être méchant ou de vouloir la juger, il souhaitait juste l’aider, lui faire comprendre que ce n’était pas grave si de temps à autre, elle acceptait une main tendue. Le magicien lui ressemblait sur ce point, il savait ce que c’était de vouloir à tout prix compter que sur soi-même et ne déranger personne... Il lui donnait des conseils cependant dans le cas contraire, il serait assurément le premier qui réagirait comme elle. Et c’était justement pour ça... On agit toujours différemment avec les autres qu’avec nous-mêmes n’est-ce pas ?

En silence, Kyohei ne parlait plus, repensant encore à la scène qui avait lieu plus tôt et souffla, agacé. Ils auraient peut être pu éviter tout cela s’ils avaient fait attention et ça l’énervait de constater qu’à cause de sa blessure, Yui risquait aussi de se faire du souci. Cela ne devait pas être facile de se dire que pendant un temps on ne pouvait pas bouger et ça devait être déprimant. Lui-même qui n’était pas des plus sportifs auraient du mal à rester assis ou allongé toute une journée, à regarder la télévision ou lire un bouquin. Il avait besoin de sortir, de prendre l’air, s’aérer, marcher... Donc quelque part, il comprenait. Néanmoins, il ne put lui rétorquer que la demoiselle l’interrompit dans ses réflexions pour revenir sur le sujet du passé. Il s’y était préparé, il s’était attendu à ce que Yui finisse par le questionner sur ça pourtant, il avait machinalement détourné le regard avant de plonger son attention sur son bol de nouilles. Il n’était pas quelqu’un qui se confier aisément, qui parlait de sa vie privée à tout bout de champs et encore plus lorsque ça concernait son enfance. Il détestait aborder un tel sujet mais c’était de sa faute, il avait été le premier à le lancer sans savoir réellement pourquoi il l’avait fait d’ailleurs.

Ce qui le surprit cependant, ce fut la deuxième remarque de la jeune femme et l’étonnement se reflétait dans les pupilles du magicien. Jamais il n’avait pensé qu’elle pourrait s’imaginer ça. Non, elle n’avait rien fait de mal, au contraire. Il l’admirait beaucoup et maintenant qu’il y réfléchissait, il saisissait peu à peu pourquoi il se braquait autant. Kyohei a toujours eu peu confiance en lui, ça n’avait pas changé au cours des années. S’il avait déjà sa bande d’amis, s’en faire d’autre s’avérait plus compliqué. Elle était gentille, douce, un peu vive d’esprit néanmoins elle était agréable à avoir tout le temps sourire, à essayer durement de se lier à lui. Et lui, paradoxalement, il avait pris peur. Parce qu’elle était justement trop « vive », qu’ils étaient malgré tout différents et la sensation de rejet, il n’aimait pas. Ca l’effrayait alors plutôt que tenter de s’attacher et avoir mal, il fuyait. Elle l’impressionnait peut-être parce qu’au fond, il l’enviait. Il était un homme cependant Yui lui paraissait tellement plus forte que lui psychologiquement. Hors lui avouer cela était difficile et particulièrement gênant. D’où le fait qu’il eut un long silence avant que Kyohei ne prenne de nouveau la parole.

- Non. Pas du tout. C’est juste moi. Je ne saurais pas comment m’expliquer et les compliments tout ça, c’est vraiment pas mon truc. Seulement je suppose que... Tu m’impressionnais. C’est toujours le cas d’ailleurs, Précisa-t-il dans un léger rire, Quoi qu’il arrive, tu lâches pas. Tu as une force d’esprit que je n’ai pas et puis tu étais mon total opposé. Alors même si je ne te détestais pas, je n’arrivais pas. J’avais peur, je crois. Mais c’est compliqué, et j’ai pas trop envie de me justifier.

Sa main secouait nerveusement ses cheveux tandis que sa lèvre supérieur mordillait sa lèvre inférieur, signe de son malaise. Il en avait déjà trop dit et bien que ses paroles étaient quelque peu fouillis, il espérait que la jeune femme en ait compris l’essentiel. Du coup, après avoir déclaré ses mots, le garçon avait avalé son bol d’une traite, ne sachant réellement où poser ses yeux ensuite. Il avait conscience de ne pas avoir répondu à sa première question seulement était-ce mal de ne pas vouloir parler de lui ? Il avait l’impression de se vendre et il n’appréciait pas. Ca le mettait dans l’embarras un peu plus puis, il refusait de se rappeler ce lot de mauvais souvenirs.

- Pour ce qui est de mon passé, je suis désolé, je n’aurais pas dû mentionner le sujet tout à l’heure. C’est juste sorti tout seul, c’est tout. Je ne parle jamais de moi d’habitude, je n’aime pas ça. Et là, avec toi, d’un coup je sors plein de truc et tu as le don de me faire dire des choses qui me mettent mal à l’aise !

Pauvre chou... Il en était presque mignon avec ce petit air gêné qui se lisait sur son visage. Si bien qu’il avait encore égaré son regard ailleurs dans la pièce tandis qu’il posait le bol sur la table de salon.

- Mais non, ce n’était pas que de la timidité, Rétorqua tout de même Kyohei avant de se caler contre le dossier de son canapé et de souffler discrètement, C’est la seule chose que je dirais pour l’instant.

Sur ses dires, il accepta enfin de la contempler mais dévia rapidement ses prunelles en direction du pied de la jeune femme qu’il avait bandé quelques temps plus tôt.

- Comment tu te sens ? Ca va un peu mieux ?

Peut-être que cela ne paraissait pas évident au premier coup d’oeil toutefois, lui aussi, il était inquiet et il avait bien souvent une manière étrange de le montrer. En général, ça se traduisait par la colère et la froideur mais à présent qu’il était calmé, sa voix s’était faite plus compréhensive, plus douce. L’unique chose qu’il espérait était que Yui soit sincère et ne réponde pas un « je vais bien » juste pour lui faire plaisir. Il avait vraiment envie de faire des efforts, de devenir son ami néanmoins pour cela, il fallait que ça vienne des deux côtés n’est-ce pas ? Les amis sont censés se soutenir, dans les bons comme les mauvais moments.

En réalité, Yui se sentait soulagée. Elle avait peur qu'il lui réponde que oui, elle avait dit ou fait quelque chose de mal. Ca l'aurait gêné, mais elle aurait très certainement culpabilisé aussi.
Cependant, elle ne s'attendait pas à ce qu'il lui réponde ça. Elle l'impressionnait. C'était la première fois qu'on lui la faisait celle-là. Et encore tous ces gentils mots de la bouche de Kyohei lui réchauffait le cœur. Ca lui faisait du bien d'entendre ça, mais aussi du bien que quelqu'un remarque sa ténacité. Ses frères lui disaient ça, la complimentaient presque à chaque fois qu'ils se voyaient, mais c'était pas pareil. Elle avait l'habitude avec eux, maintenant. Avec Kyohei, c'était différent. En soit, c'était presque un inconnu, elle ne savait pas grand chose sur sa vie et lui peu de choses sur la sienne aussi. Mais il avait vu cette force en elle.
Elle se mit à rire doucement, avant de lui offrir un sourire doux et plein de reconnaissance. Savoir qu'elle était reconnue pour sa force de caractère aux yeux de Kyohei valait tellement mieux qu'une médaille.

Jouant avec ses doigts alors qu'il commençait à répondre à sa deuxième question, elle leva rapidement le regard vers lui avant de le rebaisser sur ses mains. Elle ne pouvait pas lui en vouloir de ne pas parler. Après tout, il n'avait pas de raisons de tout lui dire. Elle avait juste pensé que cela pouvait être un sujet de conversation sur lequel se lancer. Elle aurait très bien pu parler de sa déco... Ouais. Enfin. Non, elle aurait pas pu, mais elle aurait pu trouver autre chose.
Elle rit une fois encore, laissant son sourire s'agrandir sur ses lèvres. Elle ne savait pas ce qu'elle pouvait bien dire pour le mettre mal à l'aise. Bon, peut-être qu'elle avait pu dire deux ou trois trucs... mais là, ça ne lui revenait pas en tête.

« Ca me va », répondit-elle doucement, « Pour l'instant », finit-elle avec un clin d’œil en direction du jeune homme.

Un autre rire s'échappa de ses lèvres. C'était peut-être ça qu'il le mettait mal à l'aise ? Elle devait arrêter avec les clins d’œil... mais c'était amusant ! Posant son regard sur son camarade, elle remarqua que son regard ne croisait plus le sien. Elle se mit à chercher la chose que Kyohei regardait avec tant d'attention avant de se mettre à regarder sa cheville. Ha oui... elle avait presque fini par l'oublier.

« Hm ? J'ai connu mieux. Beaucoup mieux. Je crois que la pommade fait effet. Ca brûle et ça pique. J'ai envie de secouer ma jambe dans tous les sens pour lui dire de guérir plus vite aussi mais je vais me retenir, promis », souffla-t-elle en riant avant de continuer, « Je suppose que ça va continuer de faire mal comme ça pendant quelques jours, hein »

Elle lui lança un petit regard, puis contempla à nouveau son pied. Elle venait d'avouer que oui, ça faisait mal. Cependant, elle préférait ne pas s'étendre sur le sujet. Ca faisait mal, ça piquait, ça la démangeait, ça la brûlait. Mais le pire, c'était la frustration. Il n'y avait pas d'autres mots pour décrire ce qu'elle ressentait. Et puis, comment allait-elle promener Sou maintenant, avec une jambe en moins ? Elle allait devoir soudoyer quelqu'un. Sa voisine peut-être, elle était gentille et toujours prête à rendre service.

« C'est pas la première fois que je me blesse. Enfin, c'est la première fois que je me fais mal à la cheville. D'habitude c'est toujours dans le haut du corps. Donc c'est pas dérangeant pour courir »

Pourquoi lui parlait-elle de ça ? Il en avait sans doute rien à faire de connaître tous ses bobos...

« Je me suis déjà foulée le poignet. Mais je pouvais encore courir. L'épaule aussi. C'était un peu galère au début mais je pouvais courir. J'ai déjà eu plein d’égratignures aux genoux, mais ça m'avait jamais empêchée de bouger »

Elle pencha alors légèrement la tête en arrière, se tenant le menton tout en réfléchissant. Où avait-elle été blessé encore ?

« Ah si ! J'ai déjà été blessé à la jambe. Mais j'étais petite. J'avais glissé, et un bout de bois s'est logé dans mon mollet. Je me souviens que j'ai failli tuer le médecin parce qu'il faisait mal son travail »

Une autre rire quitta le fond de sa gorge. A l'époque, le médecin avait dû lui faire deux piqûres pour endormir sa jambe avant de recoudre. Elle ne savait pas ce qu'il s'était passé, mais ça ne faisait pas effet. C'était peut-être dû à l'adrénaline, ou quelque chose comme ça. Mais elle avait senti que ça lui faisait mal. Elle n'avait pas pleuré, elle avait seulement serré les poings sur le drap de son lit. Elle n'avait pas non plus hurlé. Son père la regardait se battre contre la douleur, et elle avait voulu lui montrer qu'elle pouvait la supporter.
En y repensant, elle aurait mieux fait de frapper le médecin pour laisser parler sa douleur plutôt que de se retenir.

« Par contre je me souviens pas combien de temps j'ai dû rester immobile... Me connaissant, j'ai dû tenir que quelques jours, tout au plus. Tu t'es déjà blessé toi ? Vu que tu savais tout de suite quoi faire pour ma cheville, on dirait que tu as déjà connu ça. Enfin, si tu veux pas en parler, c'est pas grave, je peux pas parler de mes bobos pour deux »

Oh ça, des bobos, elle en avait eu des tas, elle en aurait pour toute la soirée à tout raconter en détails. Elle reposa doucement sa tête contre le dossier du canapé, la tournant vers le jeune homme au passage. Elle lui sourit une nouvelle fois et se frotta rapidement les yeux. La journée ne fut pas spécialement longue, mais fut riche en émotions, ça l'avait épuisé.

Et bien dit donc... Kyohei disait connaître les blessures de guerre toutefois Yui semblait en avoir connu pas mal également. Il n’avait pas le souvenir de s’être cassé des tas de choses mais des égratignures, il en avait eu beaucoup. Ce n’était pas tous les jours facile à l’école et parfois ils se retrouvaient au milieu de bagarre sans savoir de quoi on l’accusait. Il fallait bien une bête de foire et un coupable, la plupart du temps, on le choisissait lui. Il ne comptait plus le nombre de fois où il était rentré à la maison avec de la boue partout sur le corps et des bleus sur les genoux. Sauf qu’il n’avait pas de quoi se vanter et ne s’en vanterait pas non plus. Voilà pourquoi, il préférait l’écouter et souriait à chacune de ses anecdotes, trouvant la façon que son amie avait de raconter amusante. On aurait dit qu’elle en était fière et d’un certain point de vue, c’était drôle. Seulement son entourage avait dû être inquiet plusieurs fois avec une fille comme elle. Une véritable casse-cou, il faudrait que la demoiselle apprenne à se canaliser et diminuer le sport aussi. Cela lui éviterait d’être mal de ne pas pouvoir bouger constamment et se reposer.

Il avait été néanmoins satisfait qu’elle ne lui cache pas sa douleur, qu’elle admette avoir mal et à cet instant là également, le magicien avait souri. Yui n’avait pas besoin de le dire qu’il se doutait qu’elle était frustrée. N’importe qui le serait à sa place et c’était la raison pour laquelle, si elle acceptait, il lui donnerait un coup de main. Si les rôles étaient échangés, la jeune femme aurait presque planté sa tente devant chez lui pour le surveiller et l’aider dans ses tâches ménagères. Bon, le campement était peut-être exagéré cependant la réflexion y était et Kyohei savait qu’elle serait là pour lui. Alors même si ça le mettrait sûrement mal à l’aise, il ferait un effort. Et puis, ce serait lâche d’abandonner une blessée dans la rue.

En silence, pour le moment, il avait continué de l’écouter, hochant sa tête afin de montrer qu’elle ne parlait pas dans le vent et que ça l’intéressait. C’était sûrement stupide aux yeux des autres toutefois à travers ses mots, il avait l’impression d’en apprendre un peu plus sur elle. Et il se plaisait à tenter de se l’imaginer petite, la voyant courir de partout, froncer les sourcils puis chipoter pour faire des choses qu’habituellement seul les garçons pratiqueraient. Il l’imaginait désigner avec fierté cette atèle qu’elle avait au poignet et montrer que malgré ça, elle pouvait toujours faire du sport. Elle était tenace et comme le garçon l’avait déjà songé quelques instants plus tôt, c’était à la fois une qualité, à la fois un défaut. Il fallait s’imposer des limites même si ce n’était pas toujours facile et au moindre problème, ne pas se gêner de laisser échapper ses tourments. Parce que si Yui restait forte pour une misérable blessure, si un jour quelque chose la peinerait, ce serait une situation identique n’est-ce pas ? Et ce n’était pas bon... Garder tout pour soit pouvait détruire la santé d’une personne alors il espérait vraiment que dans ces moments là, la jeune femme avec quelqu’un sur qui compter.

Cette fois-ci, sans réellement connaître la raison, plutôt que sourire, Kyohei se mit à rire légèrement. Il n’y avait rien de drôle dans la phrase de la demoiselle mais ça l’avait amusé malgré tout. Pourquoi parler de bobos le dérangerait ? Evidemment il avait ses secrets, sa part de mystère cependant s’il refusait d’aborder n’importe quelle conversation, ils n’iraient jamais loin tous les deux.

- Je me suis fait une entorse quand j’étais petit. Tout aussi bêtement, j’avais loupé la marche d’un escalier. C’est une dame qui s’est occupée de moi et quand on m’a emmené à l’hôpital, on a dit qu’on mettait pas de plâtre sur les entorses. J’ai du avoir une atèle pendant deux semaines. Et c’est vite passée ensuite, heureusement. Je me doutais que toi ça devait être une foulure parce que sinon, tu ne pourrais même pas bouger ton pied... Après si demain ça ne va pas mieux, on ira passer une radio, au cas où...

Sur ses mots, le magicien quitta enfin le canapé de manière à débarrasser mais avant de partir, il s’arrêta, noyant ses yeux noisettes au creux des siens.

- Je préférerais que tu restes ici ce soir. Je me doute que tu ne vas pas vouloir déranger, que ça va aller et que tu peux te débrouiller. Ne pense pas que je ne comprends pas, je suis un peu le même à ce niveau là. Mais au moins aujourd’hui, après j’essaierais de t’aider si tu as besoin d’un coup de main chez toi ou quoi, si tu veux. Profite, ce n’est pas tous les jours qu’une telle occasion se présentera.

A son tour, il lui rendit son clin d’oeil avant de partir dans la cuisine pour ranger la vaisselle sale et la nettoyait. Il arrivait enfin à être lui-même et quelque part, Kyohei en était fier. C’était cette demoiselle qui risquait d’être surprise. Elle qui l’avait connu si fuyard et timide, voilà qu’il prenait bien plus d’assurance.

Il s'était seulement fait une entorse étant petit ? Le chanceux. Enfin, oui et non. Garder une attelle ce n'était pas non plus de tout repos. Cependant, elle fronça les sourcils. Comment ça « une dame » l'avait emmené à l'hôpital ? Ses parents n 'étaient pas là ?
Elle se souviendrait toujours du regard terrorisé de sa mère quand elle était tombée d'un arbre. Ca n'avait pas été drôle en rentrant, elle ne s'était jamais fait grondée de cette façon. Après ça, ses frères s'étaient mis à la suivre partout, pour surveiller qu'elle ne refasse pas une mauvaise chute.
Une foulure pour sa cheville ? C'était déjà trop. Mais bon, elle ne pouvait rien faire d'autre qu'attendre... A cette pensée, elle soupira faiblement, faisant une petite moue mécontente. Non vraiment, pourquoi elle ? Pourquoi sa cheville ? Elle aurait pu se faire mal au poignet, ça n'aurait pas été dérangeant. Même pour le travail ça ne l'aurait pas dérangé ; ce n'était pas comme si elle faisait beaucoup.
Elle hocha ensuite la tête, montrant qu'elle était d'accord pour une radio. Elle-même voulait s'assurer de ne rien avoir de trop grave, alors si elle devait passer par là, elle irait.

Kyohei se leva, et Yui en profita pour étirer ses bras. Ces derniers restèrent en suspens dans l'air durant plusieurs secondes. Comment ça elle allait rester là ? Et Sou ? Et Black ? Bon, elle pouvait toujours demander à la voisine, mais quand même...
Ses bras tombèrent mollement sur le canapé, alors qu'elle se mit à rire suite au clin d’œil du jeune homme. Au moins, ce n'était pas ça qui le gênait. Elle lui répondit par un autre clin d’œil, tout en continuant de rire sur le canapé. Elle ne savait pas ce qu'il y avait de drôle mais ça l'amusait.

« Tu seras mon homme de ménage pendant quelques jours alors ? », demanda-t-elle, riant toujours, « Tant qu'à faire, tu pourras faire la cuisine. Et sortir le chien. Et le laver »

Elle se mit à sourire songeant déjà à toute une liste de choses qu'elle pourrait demander à Kyohei de faire. Laver le chien, c'était toujours amusant, mais ça l'était moins quand il fallait nettoyer la salle de bain. Il pouvait laver le chat aussi, elle l'avait déjà fait, Black aimait bien l'eau donc il n'y avait aucun souci. Qu'est-ce qu'il pouvait faire encore ? Ah oui, le repassage. Et le linge. Yui se contenterait de le regarder en l'encourageant de temps en temps.
Elle se mit à rire à cette idée, finalement c'était peut-être pas si mal que ça, le repos.

Elle bailla doucement, se laissant lentement tomber sur le canapé. Elle plaça sa jambe du mieux qu'elle pouvait pour que ça ne lui fasse pas trop mal et s'étira.

« Oublie pas de me réveiller demain matin. Je travaille. … Oh mon dieu je travaille... »

Un soupir gros comme un camion lui déchira les entrailles. Travailler. Vraiment ? En plus elle pouvait encore moins bouger que d'habitude. C'était une blague n'est-ce pas ?

« Je crois que je vais me porter malade. Je peux pas rester assise sur cette chaise toute la journée... », râla-t-elle en soupirant, encore, plus pour elle toute seule qu'autre chose, « Je pourrais faire des vidéos ou des articles à la rigueur mais sur quoi ? La couleur des bandes ? Les marques de pommade ? »

Elle grogna doucement tout en se passant les mains dans les cheveux. Non, c'était trop. Du repos d'accord. Pas bouger, d'accord. Mais pas bouger au travail, pas d'accord. Elle allait avoir mal aux fesses si elle ne pouvait pas se lever.

Elle n'entendait plus rien à présent, seul le son de sa propre respiration résonnait à ses oreilles, alors qu'elle murmurait quelques mots « repos » ; « dodo » ; « travail » ; « chien » ; les uns à la suite des autres. Dans sa tête, ça voulait dire quelque chose mais en réalité, c'était encore pire qu'une formule magique, ça n'avait ni queue ni tête.
Ce fut dans un dernier soupir qu'elle s'endormit paisiblement sur le canapé de Kyohei, sans même lui avoir dit bonne nuit. ... Oups.

Il l’avait dit, il avait ses limites. Donc, hors de question qu’il lave le chien. Et le sortir, ça serait vraiment en dernier recours si la jeune femme n’avait trouvé personne. Seulement, il fallait songer aussi que le garçon travaillait lui aussi, qu’il ne pouvait pas être constamment à sa disposition. Ce n’était sans parler de son boulot à la NSA d’ailleurs. Il se débrouillerait, il avait déjà fini des dossiers et les missions précédentes, il les avait clôturé sans encombre, ça ne poserait pas de problème. Quant à son patron à la boucherie, celui-ci était gentil et compréhensif, si Kyohei lui expliquait, il comprendrait. Yui avait intérêt de le remercier parce que c’était bien la première fois qu’il acceptait de se démener autant pour quelqu’un. Certainement qu’il souhaitait rattraper ce temps où il s’était mal comporté avec elle et car il l’aimait bien aussi, qu’il voulait s’assurer que tout aille bien pour elle. Il irait la chercher et l’emmènerait travailler. Lorsqu’on y réfléchissait, ça faisait un peu couple ce genre d’attitude toutefois lui n’avait que faire des préjugés et des stéréotypes. Il agissait selon ses envies, rien de plus.

Dans tous les cas, il n’avait même pas pu répondre à ses plaintes que la demoiselle s’était déjà endormi. Elle faisait la maligne cependant toute cette histoire semblait l’avoir fatigué plus que de raison. Elle était réellement incorrigible cependant on ne la changeait pas et lui ne demandait pas à ce qu’on la change de toute façon. Tout en tentant de faire le moins de bruit possibles, il avait continué de ranger le salon, de finir la vaisselle et nettoyer la cuisine. Heureusement que son appartement n’était pas grand et qu’à l’origine, Kyohei faisait attention où il mettait chaque objet, dans quel placard. Ca lui permettait de se retrouver plus aisément. Dans un soupir, après avoir essuyé son front d’un revers de bras, il se rafraîchit d’un verre d’eau et sourit doucement en retournant au salon. Yui dormait profondément, si bien qu’il avait l’impression que rien ne pourrait la sortir de son sommeil. Vraiment... Incorrigible.

S’approchant lentement, le magicien la souleva avec le plus délicatesse possible afin de l’emmener dans sa chambre et la déposer confortablement sur son lit. Il fit attention à sa cheville blessée et la recouvrit doucereusement du drap avant d’éteindre la lumière et de quitter la pièce. Ce n’était qu’une fois changé qu’il partit s’affaler sur son canapé, lisant un vieux livre qu’il avait entamé la veille, lunettes devant les yeux, mais lui aussi, il rejoignit les bras de Morphée plus vite qu’il ne l’aurait cru. Cette journée avait été riche en émotion après tout.