It's a small world after all • |

Avec un crochet du droit et son adversaire s’écroula enfin sur le sol, croisant ses bras en forme de « X » en guise d’abandon. Tôru ne put s’empêcher d’en rire et lui tendant sa main, il l’aida à se relever, non pas sans le féliciter. Venir au club pendant son temps libre lui faisait un bien fou, ça le détendait et lui permettait de ne pas trop réfléchir, de canaliser ses émotions aussi parce que sinon il s’emportait trop facilement. Quittant le ring d’entraînement, le jeune homme se saisit de sa serviette pour se sécher le visage et il grimaça lorsque son doigt frôla sa blessure au coin de la lèvre. Ah. Junya n’y était pas allé de main morte. Tant pis. Il avait connu bien pire et n’en était pas au point de se plaindre pour une misérable égratignure.

Après être passé au vestiaire et s’être changé, le garçon quitta les lieux, profitant de l’air frais qui se cognait à ses joues. Il n’avait pas envie de rentrer immédiatement. Enfin, il n’aimait jamais vraiment retrouver ses appartements, ça l’obligeait à trop réfléchir. Sa décoration était des plus froides, il n’y avait que le stricte nécessaire : une table, un canapé, une chambre, quelques meubles. Oui, il avait la télévision mais il ne l’utilisait pas souvent puisqu’il préférait traîner dans les rues plutôt que chez lui. Son appartement le représentait plus que quiconque, il montrait ô combien la vie du jeune homme paraissait plus vide, plus sombre que ce qu’il n’y faisait croire. Probablement la raison pour laquelle, rares étaient ceux à être rentrés à l’intérieur. Il ne laissait pas n’importe qui s’immisçait dans son existence et on lui avait longtemps reproché ce côté secret de sa personnalité. Hors, il était ainsi. Seul les quelques privilégiés, ceux qui le connaissaient et en qui il avait une confiance aveugle pouvait pénétrer ici. Parce que rentrer chez lui signifiait le percer à jour, signifiait peut-être même le comprendre et commencer à éprouver une pitié qu’ils n’avaient pas auparavant. Tôru lui-même ne parvenait pas à rester longtemps dans cette atmosphère austère et oppressante qui reflétait son passé tout entier. Changer ? Il aurait pu néanmoins il ne s’imaginait pas non plus vivre dans un endroit qui ne le qualifiait pas. Il n’avait pas envie de se formaliser d’objets inutiles, de photographies ou de meubles encombrants.

Dans un soupir, l’éducateur se grondant intérieurement pour ses mauvaises réflexions et de manière à se calmer, à songer autre chose, il partit se caler sur un banc d’un parc. Dés lors, il sorti un grand calepin de feuille de son sac puis ses doigts défilèrent machinalement sur le papier. Parfois il concevait divers paysages, parfois des portraits ou des souvenirs d’autrefois, cela dépendait de son humeur mais la plupart du temps, il faisait en fonction du feeling. Aujourd’hui, ses yeux s’étaient posés sur cette jeune femme qui lui tournait le dos et dont il ne pouvait voir le visage. La scène présente devant lui le charmait et il avait eu envie de le calquer dans son dessin. Il y conçut chaque trait avec la moindre minutie, n’omettant aucun détail toutefois la mine de son crayon s’écrasa au même moment où cette inconnue se retourna et qu’il découvrit sa figure. A cause du choc, Tôru n’avait pu poursuivre son œuvre, s’attendant à tout sauf à la croiser elle.

Elle avait été sa seule et unique amie à l’époque. Ils s’étaient connus un peu par hasard mais le fait était qu’ils étaient proches, très proches. Elle n’avait vu que de lui ce garçon solitaire, sans l’once de joie sur le visage et qui passait son temps à s’échapper dans ses dessins. C’était une drôle d’amitié au début néanmoins elle avait également été la seule en mesure de casser ce miroir de glace qui résidait tout autour de lui. Personne à l’orphelinat n’y était parvenu mais Nanami avait réussi. Petit à petit, l’adolescent s’était permis de sourire en sa compagnie, de se confier et même de l’écouter. Mais, du jour au lendemain, alors qu’il avait déjà déménagé depuis un moment à Nishinaka, elle avait choisi de rompre tout contact. Elle aurait pu être malade, avoir disparu ou même ne plus faire partie de ce monde toutefois sans pouvoir l’expliquer, Tôru savait que ce n’était pas le cas. Peut-être qu’il avait eu peur de la vérité et qu’il n’aurait pas supporté d’apprendre le décès de son amie. Il avait pourtant essayé de la joindre mais son numéro n’était plus le même, elle ne répondait plus à aucun de ses mails donc le garçon s’était fait à l’évidence, elle l’avait sorti de sa vie soudainement. La rancoeur du jeune homme avait été des plus fortes... Probablement parce qu’il n’avait pas compris. Ils étaient censés être amis mais elle l’avait écarté de son existence. Voilà que maintenant elle apparaissait sous ses yeux, en chair et en os, et il était certain de ne pas se tromper.

Il était partagé entre s’enfuir ou aller la voir pour lui balancer ces quatre vérités, le mal qu’elle avait pu lui faire à l’époque et qui revenait en maître aujourd’hui. Vivement, il rangea ses affaires dans son sac, décidé à partir toutefois lorsque son regard croisa le sien, hébété, Tôru compris qu’il ne pouvait pas faire marche arrière. Elle l’avait très certainement reconnu elle aussi...

- Hey... La salua-t-il après quelques minutes et s’être approché de façon à être à sa hauteur.

Sa voix tremblait, reflétant toutes ces émotions qui menaçaient d’éclater d’une minute à l’autre. Son sourire crispé ne disait rien qui vaille... Il ne parviendrait pas à rester calme trop longtemps.

- Ravi de voir que tu te portes plus bien, Ajouta le jeune homme, ironiquement, Comme le monde est petit de se retrouver ici hein ? Je doute que ça t’intéresse mais au cas où, pour ta gouverne, je vais plutôt bien aussi. Bien que je suis quand même surpris. Je dois t’avouer que tomber sur une connaissance de passé qui a arrêté de te donner des nouvelles du jour au lendemain, quelque part, ce n’est pas très agréable. En particulier, lorsque cette « connaissance » était censée être ton amie.

Pour des retrouvailles, ce n’était pas des plus joyeux et il aurait pu attendre avant de lui cracher tous ses mots d’un ton acerbe. Hors, il n’avait pu se retenir. C’était plus fort que lui. Il lui en voulait énormément et ce, peu importait ses raisons.

Un homme venait de s’arrêter auprès d’une femme et de l’embrasser furtivement, elle lui glissait quelque chose à l’oreille avant de partir, main dans la main avec ce dernier, sans prêter attention aux gens qui les entouraient, sous le regard attentif de Nanami qui n’avait rien manqué de la scène. Lorsque le couple eut quitté son regard, la demoiselle saisit la masse de ses cheveux, qu’elle avait décidé de nouer afin qu’ils ne s’emmêlent, et la ramena sur le devant de son épaule tandis qu’un soupir franchissait ses lèvres. Ces idiots n’étaient pas ensemble, elle le savait. Cette femme avait un mari et un enfant en bas âge dont elle devait s’occuper, et pourtant elle se permettait de voir un autre homme en secret. Comment en était-elle au courant ? Elle était leur voisine, tout simplement, mais ce genre d’histoires ne la regardait pas ; se mêler de ses affaires était plus sûr et, en agissant de la sorte, elle ne risquait pas de s’attirer d’autres ennuis, plus graves que ceux qu’elle avait pu avoir par le passé. Les souvenirs de cette période de sa vie étaient suffisamment difficiles à supporter pour qu’elle prenne le risque de connaître d’autres problèmes.

Lorsqu’une sonnerie se fit entendre dans le fond du petit sac à main qu’elle avait emmené, la demoiselle en sortit son téléphone portable. Un message lui indiquait, pour son plus grand bonheur, qu’elle avait été prise à un poste pour lequel elle s’était présentée quelques temps plus tôt. Son premier jour de travail n’était pas pour tout de suite, mais cela la soulageait d’un poids. Avec cet emploi, elle pourrait continuer à payer son loyer, ne plus dépendre de ses parents restés à la capitale, et elle pourrait se détacher totalement de l’existence qu’elle menait quelques années plus tôt. Il s’agissait de devenir indépendante, de retrouver un mode de vie sain et de pouvoir se débrouiller par elle-même. C’était tout ce qu’elle souhaitait. Elle allait devoir travailler pour un certain Gao Jun, une de ces personnes qui représentaient si brillamment l’idéal de cette ville, mais ce n’était pas grave. Tant qu’on ne l’y mêlait pas, elle s’en moquait.

Après avoir replacé l’appareil à sa place initiale après une réponse qui marquait sa reconnaissance, la demoiselle appuya un peu plus son dos au fond du banc sur lequel elle était assise, laissant son regard passer sur les personnes qui parcouraient le parc. Une mère avec son enfant, un couple, une personne âgée qui semblait rejoindre péniblement un banc afin de s’y installer, sa canne à la main. Aucun ne la connaissait, elle ignorait qui elle était et, pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de songer à ce qui aurait pu se produire s’ils avaient eu connaissance de sa réputation. Peut-être cette mère aurait-elle décidé de presser le pas, ce couple l’aurait dévisagée sans se déranger et cette femme plus âgée l’aurait sermonnée. Elle imaginait beaucoup de choses alors que son regard passait d’une silhouette à l’autre, et c’était ainsi à chaque fois qu’elle sortait. Une habitude stupide dont elle ne parvenait pas à se débarrasser.

Nanami était honteuse de son passé. Elle souhaitait que personne, jamais, ne découvre à quel point elle était la risée des autres, à quel point on s’était acharné à détruire sa réputation, la personne qu’elle était. Dans l’espoir de se faire oublier un jour, elle avait du abandonner beaucoup de choses, elle avait perdu pratiquement tous les contacts qu’elle pouvait avoir avant, du temps où elle possédait encore cette attache technologique qu’étaient des réseaux sociaux et les différents services qu’ils offraient. À cause des diffamations dont elle avait été victime, elle avait du se couper du monde, ou plus exactement du monde tel que le voyait la plupart des gens de cette époque où la conduite était dictée par les médias et internet.

Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’elle remarqua ce visage familier alors qu’elle s’apprêtait à quitter le par cet reprendre le train de la vie plutôt paisible qu’elle menait depuis son arrivée à Nishinaka. Au début, elle pensa à une mauvaise blague, imagina qu’on venait de la piéger, mais elle se rappela assez rapidement que peu de gens dans cette ville connaissaient son existence. Peut-être son voisin, sa voisine, le vendeur de sa supérette du coin, mais elle n’était même pas certaine qu’ils connaissent son nom. Toru se tenait-il vraiment dans le même parc qu’elle à cet instant précis ? Le choc était terrible. Pendant quelques secondes, qui lui parurent durer des heures, Nanami fut incapable de trouver quoi que ce soit à dire, peinant jusqu’à cligner des yeux tant la surprise était grande. Elle avait oublié, à vrai dire, et le retour à la réalité était assez brutal.

Le temps qu’elle réalise ce qui était en train de se produire, la jeune femme avait été rejointe par ce fantôme de son passé, mais alors qu’elle aurait souhaité le saluer franchement et simplement, sa voix ressemblait davantage à un murmure qu’à une véritable parole.

« Toru…  »

Rien n’était comparable à la honte qu’elle ressentait à cet instant, à cette envie de s’enfoncer six pieds sous terre et de ne jamais, jamais ressortir. Elle l’avait oublié, lui, cet ami à qui elle tenait tant. Elle avait disparu de la vie de toutes les personnes qui l’entouraient à l’époque où elle résidait encore à la capitale. Toutes sans exception. Comment avait-elle pu omettre de le tenir au courant ? Ne pas y avoir la tête, était-ce une excuse valable ? Elle ne tenta même pas de sourire en apercevant l’expression du garçon, subissant son ironie de plein fouet alors qu’elle ne parvenait pas encore à réaliser ce qui se produisait. Venir à Nishinaka n’était peut-être pas une bonne idée, après tout.

La tête baissée pour fuir le regard de Toru, Nanami se mordit la lèvre inférieure, une mauvaise habitude qu’elle avait adoptée depuis bien longtemps, lorsqu’elle était stressée ou gênée, cherchant quelque chose à répondre aux propos de son interlocuteur qui, elle en avait pleinement conscience, était en droit de s’indigner. Elle finit par relever la tête, quelques secondes plus tard, remontant la lanière de son sac sur son épaule comme pour reprendre un peu de contenance, et elle laissa son regard croiser celui de Toru avant de s’adresser à lui en essayant de rester aussi naturelle que possible.

« Je… J’ai perdu ton numéro.  » Commença-t-elle, tentant en vain de sourire alors qu’elle reprenait la parole. «  Je n’avais pas d’autre moyen de te contacter alors je n’ai pas eu l’occasion de te prévenir. »

À l’instant même où elle prononçait ces mots, Nanami savait qu’elle allait le regretter à un moment ou à un autre, mais elle refusait d’avouer la vérité à Toru, aussi proche aient-ils pu être. Jamais elle ne l’avait tenu au courant de ses problèmes et, en y repensant, il était peut-être mieux qu’il ne soit pas au courant de l’image qu’elle pouvait avoir aux yeux de ceux qui la connaissaient. Si elle devait mentir pour conserver ce secret, sans doute le ferait-elle, même si elle avait toujours été une piètre menteuse.

« Mais je suis contente de savoir que tu vas bien… Je n’ai plus pu prendre de tes nouvelles depuis un moment et comme je ne t’avais pas en réseau, enfin, tu vois ? »

En était-elle sûre ? Sa mémoire lui faisait défaut. Elle ne savait pas si Toru n’avait pas commencé à utiliser ce genre de sites après qu’elle ait arrêté. Elle n’aurait jamais du dire ça.

Perdu son téléphone ? Est-ce qu’elle espérait le convaincre avec ses paroles ? Elle croyait réellement que Tôru allait croire ce bobard gros comme une maison. Il était le premier à mentir tout le temps, constamment, donc ce genre de réflexion ne fonctionnait pas sur lui. S’il ne se retenait pas, il lui aurait certainement ri au nez tant elle le décevait plus que de raison. Qu’elle perde son numéro, il aurait pu l’accepter si elle ne s’en servait pas comme excuse pour le fait qu’elle avait rompu tout contact. Il n’y croyait pas. Elle avait son email et si, par le plus grand des hasards, elle l’avait également perdu aussi, elle aurait pu récupérer ses coordonnées à l’orphelinat. Nanami le connaissait mieux que quiconque, elle savait dans quel endroit il vivait avant de déménager pour Nishinaka, si réellement elle avait voulu garder le contact, elle aurait pu facilement le retrouver. A sa place, Tôru aurait tout fait pour récupérer son numéro donc qu’elle n’essaie pas de s’amuser de lui avec ses belles paroles. Il ne la croyait pas. Cela lui aurait été moins douloureux s’il se voilait la face, qu’il avait un infime espoir dans les mots de sa vis-à-vis cependant non, il n’avait pas un doute quant à ses mensonges. Elle avait voulu le sortir de sa vie, soit. Tant pis. Il s’était trompé sur la valeur de leur amitié, il pensait qu’elle valait mieux que ça mais là encore, il avait foncé tout droit dans un mur. Et ce n’était pas parce qu’elle lui paraissait embarrassé ou culpabilisé qu’il comptait pardonner. Il était rancunier, encore plus envers des personnes à qui il avait pu tenir, en qui il avait certainement une confiance aveugle mais qui n’était même pas fichu de lui expliquer la vérité. Est-ce que c’était cela que signifiait le mot « ami » à ses yeux ? Franchement, le jeune homme en aurait bien ri tant la situation lui paraissait ironique. Il était bien content au final de ne laisser personne s’immisçait de trop près dans sa vie. Il risquait de tomber sur de nouvelles déceptions.

- Tu te fiches de moi ?! Cracha-t-il après un silence, ne pouvant résister à rester calme, Dit plutôt que tu n’as pas vraiment cherché à vouloir en prendre. Ca t’apporte quoi de mentir ? Je pensais vraiment que tu valais mieux que ça Nanami. L’amitié, c’est basé sur la confiance avant tout et alors qu’on se revoit, les seules choses que tu me trouves à dire, c’est ça ? Ne te moque pas de moi. J’aurais juste préféré la vérité.

Parce qu’au bout du compte, ce qu’il ne pardonnait pas, c’était cela. Qu’elle lui mente alors qu’il avait toujours songé à l’époque qu’elle était honnête avec lui.

- Si vraiment ce n’était qu’une histoire de réseau ou de téléphone en cherchant, tu aurais pu me retrouver. Sans parler que tu avais mon mail aussi. Mais écoute, ce n’est pas grave. Cela ne devait pas valoir grand chose à tes yeux, voilà tout.

Lui-même refusait de croire en ses propres mots seulement il était tant déçu que le lui cacher et rester impartiale lui était impossible.

La vérité n'était pas agréable et ne figurait pas sur la liste des choses que Nanami avait envie de dire à Tôru, maintenant qu'ils se retrouvaient. Elle n'avait aucune envie de lui expliquer tout ce qu'elle avait enduré. Bien que la menace ait été virtuelle en grande partie, elle ne pouvait s'empêcher de souffrir lorsqu'elle y repensait et, même comme cela, la douleur avait été suffisamment grande. Alors non, elle n'avait pas envie d'en parler, elle préférait vivre avec ce secret plutôt qu'ouvrir la bouche à ce sujet, car elle ne souhaitait pas être victime du regard des autres à nouveau, et encore moins de celui de son meilleur ami. Enfin, de celui qui l'avait été pendant si longtemps. Elle savait pourtant qu'il avait raison de lui reprocher d'avoir coupé les ponts, elle-même le regrettait, à vrai dire.

« Eh bien peut-être que je ne vaux pas mieux, non. » Avait-elle rétorqué, sur la défensive. « Ça m'est totalement sorti de la tête, je n'y peux rien!  »

Quelle était cette excuse? A qui essayait-elle de faire comprendre quelque chose? Au parc tout entier? Elle avait l'impression de s'emporter pour rien. Pourtant, habituellement, elle était discrète, silencieuse, elle faisait de son mieux pour ne pas faire de vagues. Enfin, ça, c'était lorsqu'elle ne croisait pas le chemin d'un ami qu'elle avait perdu de vue au moment où elle avait abandonné tout ce qu'elle avait à Tokyo, l'existence qu'elle y menait.

« Je suis désolée Tôru, vraiment, mais tu dois comprendre que ce n'était pas volontaire.  »

Il voulait une chanson, peut-être? C'est pas ma faute à moi si j'entends tout autour de moi N A N A M I, moi Nanami? Un soupir échappa à la demoiselle alors qu'elle réfléchissait intensément à un moyen de faire entendre raison à ce pauvre fou qui semblait ne rien vouloir saisir. Évidemment, elle avait pour habitude d'ignorer ses amis. En même temps, elle en avait tellement! Ah, ironie. Unfriend, dislike. Ça allait vite à l'époque, pourtant jamais elle n'avait négligé ses véritables amitiés et, bien qu'il ne semble pas le comprendre, Tôru en faisait partie. Ses remarques la blessaient profondément.

« Tu crois que j'aurais arrêté de te parler comme ça, sans une bonne raison? »

Oh non, elle ne comptait pas se laisser accuser de la sorte. Elle n'était pas de genre de personne, et la simple idée que son meilleur ami lui-même se mette à penser le contraire était capable de l'énerver. Elle n'aimait pas être prise pour ce qu'elle n'était pas, c'était entre autres pour cela qu'elle avait été terriblement malheureuse et angoissée à l'idée que les autres tiennent ce qui était écrit à son sujet pour vrai. Elle ne supportait pas que l'on parle d'elle de cette façon, alors qu'elle n'avait en vérité rien fait de mal, ou du moins pas volontairement.

« Tu sais que je ne l'aurais pas fait... pas vrai? »

Elle pensait son ami capable de la comprendre, mais peut-être ne l’était-il pas autant qu’elle l’aurait aimé. Pourtant, même si cette pensée lui traversait l’esprit, elle savait qu’elle était la seule fautive. Cela ne l’empêchait toutefois pas de chercher des réponses dans le regard de son ami.

Sa déception était des plus grandes. Il ne pouvait pas faire semblant, faire comme si tout cela ne l’affectait pas alors qu’à l’époque, quand il n’avait plus eu de ses nouvelles, Tôru avait été le premier attristé par cette histoire. Au début, il s’en était inquiété, il avait prié à ce qu’il ne soit rien arrivé à son amie. Il avait voulu savoir ce qui se passait mais la demoiselle ayant rompu tout contact, il n’avait pu le faire. Très vite, il avait compris que peut-être Nanami avait souhaité changer de vie, le rayant lui de la sienne et ça, le jeune homme n’avait pas saisi. Qu’avait-il fait de mal ? Cette question avait tournoyé dans son esprit pendant longtemps avant qu’il se résigne à se faire une raison puisque de toute façon, il ne la reverrait certainement plus. Jamais il n’aurait cru la retrouver ici un jour bien qu’au fond, au vue de ses idéaux lorsqu’ils se fréquentaient, cela n’aurait pas du le surprendre. Pourtant le jeune homme n’y avait jamais songé et au final, il se sentait tellement penaud de lui faire face en cet instant. Peut-être aurait-il du tracer sa route, ne pas chercher à comprendre et l’ignorer comme elle l’avait pendant ses années. Le fait était que l’éducateur n’avait pas pu, il avait besoin de réponse et la réaction de sa vis-à-vis l’avait déçu encore plus que ce à quoi il s’attendait.

Bien sûr qu’il pensait qu’elle avait une bonne raison. Il avait toujours cru cela comme une façon de pouvoir l’excuser plus facilement et certainement parce qu’il refusait l’idée que sa camarade ait pu se moquer de lui, que leur amitié n’était pas réel. Mais pourquoi s’entêter à lui mentir ? Pourquoi ne pas lui expliquer la vérité ? Tôru ne comprenait pas ça et c’était assurément ce qui le décevait le plus. Ils avaient été amis pendant si longtemps, elle connaissait beaucoup plus de choses sur lui que tous son entourage réuni, il lui avait toujours fait confiance et pensait que cela serait similaire dans le cas contraire. Là encore, apparemment, il s’était trompé.

- Je ne sais simplement pas ce que je dois croire, Dit-il d’un ton neutre bien que la déception pouvait s’entendre et se refléter dans ses pupilles, Ne me sort pas que c’est parce que tu as perdu mon numéro si tu as vraiment une bonne raison. Parce que, je te l’ai dit, si vraiment tu voulais reprendre contact, tu aurais trouvé par toi-même. En tout cas, c’est ce que j’aurais fait.

S’il avait été à sa place et que comme elle le disait, il ne trouvait plus ses coordonnées.

- Je pourrais te pardonner, Nanami. Réellement, je le pourrais. Mais tu vois, ce qui me déçoit le plus, ce n’est pas que tu as rompu le contact, c’est que tu ne me dis pas la vérité. J’ai toujours cru, même encore maintenant, qu’on pouvait compter sur l’autre. Seulement, peut-être que c’était là-dessus que je me trompais alors.

Et ça l’attristait. En arriver là après autant de temps, c’était dommage. Vraiment.

Les choses étaient devenues tellement compliquées pour Nanami qu’elle avait du mal à expliquer à son ami ce qui lui était arrivé. Ils étaient proches, quelques années plus tôt, avant qu’il ne décide soudainement de s’éloigner d’elle, et elle avait toujours gardé contact avec lui jusqu’au moment où tout était partie en vrille, alors il allait de soi qu’elle s’en voulait profondément pour ce qu’il s’était passé. Elle regrettait d’avoir omis de lui donner de ses nouvelles, de ne pas avoir gardé contact avec elle, mais elle ne pouvait s’empêcher de penser que, si elle l’avait fait, c’était avant tout parce que c’était devenu la seule possibilité pour elle. Cependant, elle ne pouvait que comprendre la réaction de son ami qui, désormais, semblait lui en vouloir. Elle le voyait, il était déçu.

La demoiselle baissa la tête aux propos que tenait son ami, fermant les yeux légèrement. Il avait raison. Elle n’aurait pas dû lui mentir. Soudainement, elle avait changé d’avis, bien que la pensée qu’elle n’était pas tout à fait responsable de ce qu’il s’était passé lui reste encore et toujours à l’esprit. Elle n’avait simplement plus pensé à tout ça, tant qu’elle était obnubilée par l’idée de fuir, par l’idée de se retrouver enfin à l’abri du regard de ceux qui auraient pu lui vouloir du mal, qui auraient pu, surtout, la dévisager pour la réputation qu’elle avait malencontreusement acquise. Tout ça parce qu’elle avait été au mauvais endroit au mauvais moment.

« Si je ne t’ai pas dit la vérité, Tôru, c’est peut-être simplement parce que j’avais de bonne raisons de ne pas le faire. »

De bonnes raisons qu’elle n’aurait de toute évidence pas pu détailler aussi facilement que cela. Pourtant, elle en aurait eu envie, elle aurait voulu dire à cet ami si cher ce qu’elle avait traversé, comment ces personnes qui se prétendaient amies s’étaient comportées envers elle et avaient détruit sa réputation, son cercle d’amis, la vie qu’elle menait à cette période. À cause d’elle, elle avait souhaité tout abandonner et, maintenant, elle ne possédait plus rien. Plus de contact avec ces personnes du passé. Tôru aussi, d’une façon ou d’une autre, était l’une des personnes qu’elle avait laissée de côté, un individu qui appartenait à cette existence passée, mais elle regrettait d’avoir pris, bien qu’involontairement, cette décision douloureuse. Il ne méritait pas qu’elle le traite comme ces imbéciles.

« On a toujours pu compter l’un sur l’autre. » Elle espérait peut-être trouver une faille, quelque chose. N’importe quoi. « Tu m’as toujours tout dit, Tôru ? »

Pourquoi cherchait-elle à savoir si elle était la seule à agir comme ça, à essayer de se faire oublier, à ne plus prendre contact avec personne et à ne pas dire la vérité. Elle savait qu’elle avait mal agi, mais elle essayait de se convaincre du contraire, parce que c’était tout ce qu’elle pouvait faire à l’heure actuelle. C’était tout ce qui lui restait. Le reste, elle l’avait abandonné au moment où elle était partie, et si elle acceptait sa vie actuelle, c’était avant tout à cause de cette conviction de ne pas avoir d’autre choix.

Le regard de la jeune femme se perdit un peu sur les longues allées du parc lorsqu’elle entendit la question de son ami. Pouvait-elle répondre directement à ce qu’il venait de demander ? N’avait-elle aucune échappatoire ? Elle savait parfaitement qu’elle avait absolument aucune envie de s’exprimer au sujet des raisons qui l’avaient poussée à abandonner la capitale pour rejoindre Nishinaka. Elle n’en avait fait part à personne, si ce n’était à ses parents, et il était difficile de savoir si d’autres personnes qu’eux en étaient au courant désormais. Aux yeux de beaucoup de ses anciens camarades, sa disparition devait être un mystère, un événement inexpliqué, inquiétant, peut-être, mais elle n’aurait pu l’affirmer avec exactitude. Le silence devait être fait sur les propos qu’on lui avait tenus, la douleur qu’elle avait pu ressentir en se voyant traînée dans la boue de cette façon, même face à Tôru.

« Ce n’est pas de ta faute,  Tôru, répondit-elle en un soupir désespéré. Je ne suis pas prête à en parler, je ne peux pas, mais ce n’est pas de ta faute. »

Pour tout ce qui lui était arrivé, elle était la première à blâmer. Si elle n’avait pas été aussi stupide, si elle avait fait plus attention à ce qu’elle faisait, aux personnes avec qui elle restait, sa situation aurait certainement été différente. Elle ignorait si son ami aurait pu comprendre ce qu’elle avait sur le cœur, ce qu’elle ne parvenait à lui dire en dépit de sa volonté de se confier à lui. Elle était la plus parfaite des idiotes lorsqu’il fallait mettre des mots sur un ressenti, et elle le prouvait une fois encore.

« J’aimerais que tu puisses comprendre ça,  ajouta-t-elle avant de mordre légèrement sa lèvre inférieure, désormais rongée par l’anxiété. »

Par réflexe, ses bras se resserrèrent un peu contre sa poitrine, comme si elle avait cherché à se donner un tant soit peu de contenance dans cette situation où elle était clairement coupable. Elle n’avait pas pensé à le prévenir, elle savait qu’elle avait mal agi, mais elle n’avait pas souhaité de mal à son ami en le faisant ; elle voulait simplement se protéger de ce que d’autres disaient d’elle, des propos qu’on tenait à son égard et de l’image qu’on lui donnait. Pouvait-il vraiment la blâmer pour ça?

« Tu peux comprendre, pas vrai ? demanda-t-elle après quelques secondes, sans lui laisser le temps de rétorquer. Je t’expliquerai quand j’aurai le courage.  »

Cela faisait désormais tellement de temps qu’elle avait l’impression de ne plus le reconnaître. Pourtant, il n’était pas forcément celui qui avait changé. Elle était totalement différente, elle-même.